Les premiers jours – [octobre 2007]




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[Textes extraits du livre Vers un chant neuf]




Jour 1. Quitter la maison. Aller dehors. Lire dehors. Lire dedans. Faire le résumé. Ecrire dedans. Dehors. Faire le résumé. Ecrire avec. Ce qui fut. Ecrire avec. Ce qui revient. Avec ce temps. Lorsque nous étions ensemble. Dans la maison. Avec ce temps, seul, avant. Premier temps. Première fois. Premier jour. Premier mot. Seul. A nouveau seul. Aujourd’hui. Dehors. A nouveau seul. Dedans. Ecrire. A même le livre des temps d’avant. Ecrire ensemble, dans la maison. Là, nous avons vécu. Là, à même le livre, ensemble. Nous avons lu. Ensemble. Qu’avons-nous vu. Qui as-tu rencontré, depuis. Quoi vit encore, aujourd’hui.


Avec ceci. Je continue.


Marchant vers la pointe de l’île. Reliant le chant un au chant neuf. Le livre à la main. Reliant le livre à la maison, par ma seule marche. A la maison, relisant le livre. Maison première. Maison du jour. Maison éphémère. Chaque jour, affichant aux murs les projets s’écrivant à la suite de ceux de la veille. Effaçant, recouvrant, complétant. Aujourd’hui. Dehors. Dedans. Je lis, je relis, je sors. Je reconnais. Je salue. J’ignore. Je cherche. Je marche dans la ville. Je ferme la porte. Je sors. Je descends. Je tourne à gauche. A gauche, encore. Je descends la rue qui descend. Je tourne à droite. Je longe la rivière. Je prends le petit pont. Je marche sur l’île - artificielle. J’arrive au monument. Mémoire des morts. Je fais le tour du monument. Je compte les noms inscrits sur le monument. Je cherche un nom. Je cherche le nom de celui qui avec moi fera le livre. Je pense à lui. Je cherche son nom. Je cherche le nom d’un vivant dans les noms des morts. Je reprends la marche. Je pense à écrire. Je pense auteurs vivants. Je pense auteurs morts. Je pense. A écrire. A des auteurs vivants. Je pense à écrire. A des auteurs morts. J’entre dans une bibliothèque. Je lis les dix premières pages d’un roman de Y. Publié par C. Je marche dans la ville. Avec les auteurs morts. Je marche dans la ville. Avec les vivants. Je marche dans la ville-mémoire. Je croise le voisin qui habite en dessous de chez moi. Est-ce qu’il me reconnaît. Je le salue. J’entre dans une librairie. Est-ce qu’il me reconnaît. Mercredi. J’ai faim. Vendredi. J’ouvre un livre.


Je lis : la tristesse de Y. Publiée par C. Je lis comment Y prend conscience d’une question, sans se sentir capable de la résoudre. Dit-elle. Je lis comment Y ne sait plus vers quoi se tourner pour en sortir. Comment Y voit la question se figer, et menacer d’être éternelle.


Le téléphone sonne. Une voix. C’est mon père. Est-ce que ça va. Oui. ça va. Ça va mieux. Je sors de la bibliothèque. Je t’embrasse. Je traverse le fleuve. A bientôt. J’arrive au bout de l’île. Je voulais m’arrêter là, mais non. Rien qui donne envie de rester aujourd’hui. Je continue. La fatigue vient. La lassitude gagne. Je marche sur l’île. Dans le ciel, une nuée d’oiseaux. Des milliers. Une masse en mouvement dans le ciel. Chaque oiseau est visible. Flux de la masse en mouvement. Sans arrêt. Je me casse le cou pour regarder la masse en mouvement. Je suis des yeux chaque point visible de la masse. Je vois les taches noires, se détachant sur le ciel, bleu nuit. Je vois la nuit qui gagne. Je traverse le fleuve. Je suis de retour chez moi.


J’étale au sol un plan de la ville. Je regarde l’île alors comme vue depuis un point du ciel. Je regarde la pointe ouest de l’île. Je vois une bouche. A la pointe ouest de l’île, je vois une toute petite bouche. Comme au bout d’un énorme corps de poisson, échoué au centre de la ville, et, sans nageoire.




Jour 2. Aujourd’hui, les vivants fêtent leurs morts. Aujourd’hui, le consul vit son dernier jour. Aujourd’hui, tes parents fleurissent leurs tombes. Aujourd’hui, tu reçois une carte postale de T écrite à l’autre bout du monde. Sur la carte, l‘animal gueule ouverte qui montre ses dents et ricane, semble vouloir te faire comprendre la réalité d’un certain danger à vivre, où que tu te trouves. Dehors les cloches des églises sonnent à la mémoire des morts. Et les travaux sur le chantier de l’hôtel de police continuent. Le bâtiment pousse. Les fentes noires des futures fenêtres sont des trouées obscures dans le gris du ciment, et dans la nuit, tôt le matin, ou vers le soir, le bâtiment est vivement éclairé par de puissants projecteurs. Tu penses à ces maisons que certains bâtissent et où d’autres vont vivre. Tu penses à ces mots que tu écris et que d’autres vont lire. Tu penses. Etre à la recherche d’une forme possible à penser par l’autre. Tu penses. Etre à la recherche d’une forme passée par toi. Tu penses. Habiter une forme pensée par un autre. Tu penses être bâtisseur. Tu penses à bâtir une ville. Tu penses accueillir ce qui vient. Ceux qui viennent. Tu penses. Je suis un non-bâtisseur, et pas même un guerrier. Tu penses être à la recherche d’une forme gardant en mémoire un combat.


Je ferme les yeux. Je vois une école où je ne suis pas allé. Je ferme les yeux. Je vois une école où je suis allé mais où rien ne fut retenu. Je vois un maître absent qui n’a pas fait le voyage pour venir nous parler. Je me vois devoir parler à sa place. Je tremble. Je ne parlerai pas à sa place. Je tremble. Je parlerai depuis le seul peu que je sais, sachant sans réserve ceci : ce peu est un monde dont je puis être fier. Un monde qui croît à mesure que je l’explore. A mesure que je le comprends. A mesure que je l’invente sans comprendre ce que j’invente d’encore non-exploré. A mesure. J’efface les noms. Je dis. Tout, sans les noms. Je dis. Tout, sans les dire. Sans eux, je fais le récit. Avec eux, en moi, je fais le récit au présent du jour. Au passé, dans les pierres. Je dis la mémoire des guerres. Je lis : toutes les plaques commémoratives vissées sur les murs de la ville. Je lis la naissance des mondes. Je souhaite l’anniversaire des entrées en guerre. Je souhaite l’anniversaire des jours de naissance. Je souhaite l’anniversaire des premiers jours de chaque bataille. Je dis, ici vécut, ici mourut. Je dis, ici je vis. Le téléphone vibre. C’est la réponse de S. Nous nous voyons vendredi.


A droite, deux escaliers grimpent vers les hauteurs. A droite, un panneau indique l’accès au plateau. Est-ce un théâtre. C’est une place. Ouverte aux vents. Ce sont les hauts plateaux avec un oiseau qui plane dans le ciel. C’est sa proie au sol, dans les herbes hautes. C’est l’été. C’est le jour de ta naissance. C’est à droite deux escaliers, côte à côte, l’ancien et le nouveau. C’est une palissade qui les sépare. C’est un lieu où l’on peut vivre. Un lieu où l’on peut venir. C’est un espace, où ceux qui vivent et ceux qui viennent appartiennent au même monde. C’est une tour, sombre, au centre de la ville. Tu la vois quand tu es loin. C’est un signe de puissance pour rien. C’est une fierté menaçante de bête. Tu vois. Tout ça. Tu sais. Tout ça. Tu regardes. La tour. A ta droite. Cela fait vingt ans apprends-tu que l’on n’accède plus aux derniers étages. Trop dangereux. Ce sont vingt années à vivre sans danger. Ça te fait quoi.


C’est le soir. Tu manges au restaurant. Tu vois un enfant marcher vers un chien. Il dit, en te regardant : il est marrant ce monsieur. Je souris à l’enfant. La salle du restaurant est dans mon dos. Les fenêtres donnant sur la rue sont devant. J’ai marché tout le jour dans la ville. C’est le matin, maintenant. C’est deux mois plus tard. J’écris cette phrase. La forme impossible que je m’escrime à penser, je ne peux la penser seul.




Jour 3. C’est la fin du jour. Je marche le long de la rivière, au bord de l’eau, en direction du nord. Il y a des maisons. Des péniches. Il y a des familles en promenades. Il y a des canards. C’est le lendemain du jour des morts. Les vivants marchent en direction du nord. Des flux de population se déplacent en direction du nord. La nuit tombe. Bientôt le noir. Vous avez la carte du magasin ? Non. Vous avez la carte du territoire ? Non. Vous avez vos papiers ? Non. Ne montre jamais tes papiers. Efface tous les noms. Longe le cours de l’eau. Tourne à droite. Deviens invisible. Guette les panneaux. Lis les plans de la ville. A proximité du stade, ne te laisse pas impressionner par sa masse obscure. Sa menace. Monte dans un tramway.


Le tramway démarre en direction du centre. Je marche dans les rues. Les clochards sont mes cousins. Je lis dans les rues. J’entre dans les bibliothèques. Des clochards meurent dans les rues. Je m’endors dans un lit. Le tramway part dans six minutes. Je lis dans les tramways. Ici il fait chaud. Les lieux publics sont chauffés. Les clochards ne sont pas mes cousins. Les sans visage dans la ville, je ne suis pas même conscient de leur existence. C’est la fin du jour. J’avale les alcools forts. J’attends les amis au comptoir. Je mange avec eux. Si je disparaissais, là, soudain, ça changerait quoi.


Question 1. Comment es-tu arrivé ici. Question 2. Pourquoi y restes-tu. Question 3. Quoi t’en ferait partir.




Jour 4. Je recommence. Je me réveille. Je sors. Je suis dehors. Je marche. J’ouvre les yeux pour y faire entrer le monde. Je marche. J’ouvre les yeux pour inverser le mouvement. Je fatigue. Je rentre. Je refais le parcours. Je le refais en aveugle. Tout me revient. Je suis sur un vélo. La rue descend. Je tourne à droite. Je longe la rivière. Ce vélo ne m’appartient pas. Je dois rendre ce vélo à qui il appartient. Je longe la rivière. Je pourrais détruire le vélo. Je pourrais le rendre en morceaux, hors d’usage. Il faudrait que je rende les morceaux. La rue descend. Je tourne à droite. J’attache le vélo en bas de l’immeuble. Voilà. C’est fait. Maintenant. J’ouvre un compte en banque. Voilà. Maintenant. Je marche dans la ville. Je croise un psychanalyste. Il a du ventre. Il a une chemise orange. Je pense aux amis lointains. Je pense aux amis proches. Je pense les amis proches vivent loin. Je le pense encore. Je pense les amis anciens vivent loin. Les amis d’aujourd’hui, proches lentement. Certains deviennent les amis d’aujourd’hui. Le deviendrons-nous. Le sommes-nous déjà. Je pense pauvrement. A chaque pas. Lentement. Je pense. A relier le verbe savoir et le mot après. Je pense. A relier le verbe connaître et le mot pendant. Je pense à être seul. Et. Avec. En quoi tu crois, me demande S.


En quoi je crois.


Je crois au réel de ce qui vient dans ma terreur et je marche et traverse une place.


Ici. C’est la place de l’ancien palais de la justice. Ici. Ils bâtissent un hôtel. International. A la place de l’ancien palais de la justice. Ici. Ils bâtissent un hôtel international. Avec espace culturel intégré. Qui ça : ils. Je marche. Je longe le mur de l’ancienne prison. Ici. A la place de l’ancienne prison. Ils bâtissent un hôtel international. Avec bonne nuit, les petits. Bonne nuit intégrée. Il est midi.


J’entre dans la bibliothèque. Je m’assois. Je cherche. Un autre point de vue. Je cherche. Un autre fauteuil. Un autre livre à ouvrir. D’autres mots à entendre. Je voudrais. Comprendre autrement. Devant moi, un homme emballe son ordinateur portable dans une serviette en coton. Je vois de l’eau. Je vois du sperme. Je vois des écrans, des vitrines, des corps. Je vois des lieux propres, des couleurs pastels, des couleurs fraîches, des objets à vendre, pratiques, simples, sains, variés, gourmands, économiques, équilibrés. Et pour vous, ce sera quoi. J’évite. Une rue dans la ville. J’évite. Une femme dans la ville. Est-ce qu’elle habite encore ici. J’entre dans un bar. J’ai rendez-vous avec S. Je réponds à sa question.


Ce. En quoi je crois. Passe par ce que je vois. De ce que je vis. Et. Passe en toi. J’ignore comment.




Jour 5. Je reviens à la première table. C’est le matin. Le soleil aveugle déjà. La table est contre le mur, en partie à l’ombre. J’écris. La face émergente de 7h53. J’écris la face émergente de 7h54. Je prends une photo. Tu verras, je te la montrerai. C’est le matin. C’est le ciel encore sombre, blanchissant. C’est l’arrivée du jour. C’est visible à l’œil nu. C’est l’avancée du temps, visible à l’œil nu. Il me faudrait. Un œil nu pour voir la venue du jour. Pour l’écrire. Pour le faire un jour venir. Pour faire la lumière un jour sur le lever des jours. Pour regarder l’épreuve. Traits blancs et roses dans le ciel bleu pâle au-dessus de l’église. Masse sombre. Là-bas. 8h09. Une photo. 8h16. Une autre. 8h21. Fin de la pellicule.


Je quitte la maison. Je descends les escaliers. Je tourne à gauche. Je marche jusqu’au tramway. Je m’arrête un instant devant un nouveau chantier. Je me souviens des maisons qui se dressaient là. Disparition des maisons anciennes. Terrain nettoyé. Terre plane, aujourd’hui vide. Sur un panneau, une image montre l’immense et nouvelle bâtisse qui bientôt va se dresser là. Disparition des maisons anciennes. Dans l’une d’elles, ici, j’ai failli vivre. Oui. Il a vraiment failli vivre, savez-vous. Un peu plus, et il existait. Je parle de toi. Qu’est-ce qui a manqué pour que tu existes. Il a manqué. Que je sorte du récit. Et je monte dans le tramway. Je m’assois à côté de trois adolescents. Deux garçons, une fille. C’est elle, la reine. Ce sont des enfants. Elle est déjà la reine. Je descends. Je prends un bus. Je parle un quart d’heure à l’homme à la chemise orange. Je le paye. J’achète un journal écrit par des philosophes. Etre digne de son nom, c’est quoi. Etre digne de son titre. Et. La puissance de vérité toujours inversement proportionnée à sa visibilité. Je marche. Je regarde la maison survivante, seule, au bord du fleuve. Tout autour, tout a été rasé. Derrière elle, la masse énorme et noire du nouveau palais de la justice. Je marche. Je rentre chez moi. Je ne me souviens plus du chemin parcouru. Je mélange tous les retours. Je convoque la pensée de tous les trajets. Je décris les trajets par la seule pensée du trajet. Je décris les trajets par leur seule possibilité. J’écris les trajets. Par les seuls souvenirs de l’existence des lieux. Sans sortir de chez moi. Je n’ai jamais quitté cette maison. Je croise D. Elle me montre la fenêtre de chez elle, juste là. Nous marchons jusqu’au tramway. Je suis en train de travailler. Je m’assois derrière la table. Je marche à ses côtés. J’écris. Le secret de mes pas aux côtés des tiens. Je marche. Seul. Attention. A ne pas prendre froid. Je poste une lettre. J’écris. J’écris une lettre. Attention. J’écris tu vas payer. J’écris tu dois payer. J’écris. Le premier conflit de ta vie, c’est quoi. Moi ? Moi j’avais un enfant, ils me l’ont mis sous les pieds : un pas de plus, et je lui marchais dessus, je le tuais, ce fut cela : mon premier conflit : ce pas suspendu, et non cette guerre de vingt ans qu’au lieu de ce pas je fis. Le lieu, de ce pas. Tu m’entends. Je t’aime. Je ne sais pas ce que ça veut dire. Ça m’est venu comme ça. En marchant. A tes côtés. Le tramway file. Je rentre chez moi. Je ressors. La nuit est tombée. Je tourne à gauche. Je traverse la rivière. Je marche sur le pont, je tourne à gauche, virage à droite, montée à gauche, tout droit, jusqu’à la grille, je tourne à gauche. J’attache le vélo en bas de l’immeuble. J’attache le vélo dans le dos de D. Je m’assois à la place L 42. Je vois G, je vois T. Je ne leur fais pas signe. Je les regarde. Le noir se fait dans la salle. Retour chez moi.




Jour 6. Je marche le long de la rivière. Il se souvient de mon prénom. Je me souviens du lieu où l’on s’est vu. Il me demande si je me ressource. Je lui demande où est la source. Il me demande si j’hésite. Je lui réponds que je travaille. Il demande : est-ce que tu travailles en marchant. J’hésite à répondre. Il demande : est-ce que tu hésites en marchant. J’hésite à répondre : 1. que je marche dans un projet sur la mémoire absente ; 2. que je travaille les corps au présent de leur absence ; 3. que j’interroge les rouages de certaines machines travaillant les récits de nos vies. J’hésite à répondre. Et toi. Tu fais quoi. Je reprends la marche. Au sol, une jeune femme assise, en tailleur, en train de lire. Un jeune homme, plus loin. Et toi. Tu fais quoi. Plongé dans ta lecture. Je marche. Je ne peux pas écrire. Je ne peux pas. Ecrire en marchant. Je lis. Je m’arrête pour écrire. Je continue pour lire. Je reprends la marche. Plus loin, je croise une femme. Je la connais. Elle me voit. Ces yeux me voient. J’en suis sûr. Elle ne me dit pas bonjour. Pourquoi. Ne dit-elle pas bonjour. Je te parle. De ce que je vois. Je te parle. De ce que j’ai vu. Et je veux. Te dire. Comment par le regard une violence telle de silence peut advenir. Je veux. Te dire. Comment ton silence me chasse et comment j’invente et creuse dedans. Je veux te dire comment j’écris. Comment c’est à toi que j’écris. Dans le silence. Je veux te dire comment je te cherche. Comment je cherche à trouver. A te trouver. Une excuse. Une bonne excuse. Un jeu de cartes. Perdu. Je veux te dire. Comment je cherche une carte, une seule, pour me repérer dans le monde. Ceci n’est pas un jeu, n’est-ce pas. J’entre dans un bar. Je mène une enquête. Voilà, c’est tout. Je t’envoie des informations. Je te fais du charme. Je te raconte la marche sur l’île, un matin. Je te dis : moi, ce qui m’intéressait, c’était le lever du jour, et surtout : travailler les gammes de gris, avec la lumière descendant sur le sol, en pensant, à toi. Je sors du bar. Je marche dix mètres. Les portes du cinéma sont fermées. J’attends avec d’autres. Les portes s’ouvrent. J’entre dans la salle. Je m’assois dans le fauteuil, au cinquième rang. Je vois G, je vois T. Ils viennent s’asseoir à côté de moi. Nous nous parlons. Nous nous trouvons, sans nous chercher. Nous sortons. Nous traversons la rue. Je bois deux rhums. Je parle du premier amour. Je parle du plaisir à ne pas connaître le regret. Je voudrais. Ne pas. Te faire pleurer. Alors comme ça toi tu fais pleurer les femmes. Je revois, très bien, la rue où nous marchons. Je me souviens, très bien, comment je te mens.


Ce mariage était une blague. Mais le savions-nous, alors, le violent sérieux travaillant en secret son chemin. Je bois une menthe à l’eau. Je prends des décisions importantes. Je suis un monstre. Je pose une question. Tout le monde me regarde. Alors comme ça toi tu te ressources. Elle ne me dit pas bonjour. Elle attend un enfant. Est-ce que nous sommes déjà trois.




Jour 7. Le chemin. Est une ligne droite qui va de chez moi jusqu’à la scène. Le chemin. Est une ligne droite qui va de chez moi jusqu’au fauteuil central au cinquième rang face à la scène. Le chemin. Est une ligne droite qui va de chez moi jusqu’aux joues de l’amie que j’ai du plaisir à revoir. Le chemin. Est un segment de ligne par lequel je suis de retour chez moi. Le chemin. Est sans image. Le chemin. Est dans le silence et dans le blanc d’une feuille impossible à lire à la place d’une autre. Le chemin. Est sur le trottoir de droite avant l’escalier. Le chemin. Est dans le regard à gauche et la surprise qui s’en suit. Le chemin. Est dans le temps qui s’écoule avec l’amie retrouvée. Le chemin passe par le fleuve. Se jette dans la mer. Et trace les mots source, origine, vite : faire quelque chose ensemble, un jour. Avec la peur. Avec la faim. Avec le froid. Son père ? Son père était géomètre de l’empire. C’est lui qui lui fournissait le papier sur lequel il écrivait. Il écrivait : au dos des cartes de l’empire que dessinait son père. Il écrivait des récits de fantômes au dos des cartes de l’empire dessiné par son père. Et. Toi. Toi de qui je reçus le cœur quand j’attendais celui de celle. Toi. Toi à qui j’adressais les mots quand elle n’en voulait plus. Toi. Qui me porta. Qui les porta : ces mots venus d’elle et de moi. Ces mots dont je savais, les écrivant, que tu les porterais. Tu les portas. Ces mots, qui vinrent d’elle et de moi, mais qui allèrent vers toi. Et. Le chemin ne se lit que dans un sens.




Jour 8. Je ne sais pas où je veux aller. Je ne sais pas où je vais aller. Je ne vais pas rester ici. Je vais partir. Je pars. Je sors. Je quitte cette ville que j’habite et dont j’ignore le nom. Je traverse un immeuble en construction. Je marche au bord de la rivière. Je m’arrête au bord de l’eau. Je n’aurais pas dû boire ce verre de vin avant de partir. Plus j’avance, moins j’ai envie d’avancer. Plus il avance, moins il a envie de rentrer. Plus j’avance, moins je trouve les raisons pour avancer. Plus il rentre, plus les raisons du retour s’enfuient. Je sors. Je marche. Sans savoir vers où. C’est bon. Je guette. J’attends. Je me perds. Je regarde un escalier qui s’enfonce dans l’eau. C’est beau. C’est accessible. C’est là. Je reprends la marche. J’abandonne. Je rentre chez moi. J’essaye à nouveau. C’est le lendemain. C’est mieux. Je marche plus vite. Il fait froid. Je fredonne l’air d’une vieille chanson. J’ai envie. J’ai très envie. Tu me donnes envie. Tu me fais envie. J’ai très envie de toi. Tu veux qu’on se voit plus souvent. Je dis. Il y a quelque chose que je ne peux fondamentalement pas te refuser. C’est quoi. Le mot pour dire ça.