[14.11.07]




14.11.07. [1] Sac à dos sur les épaules. Je longe la rivière. Les immeubles, à droite. Les arbres. Le paysage. Je vois tout. Précision des jours où le monde est accessible. Précision des images captées par la vue. Précision aiguë de la vue de ces jours où sensation d’accéder par le regard à ce qui entoure. Ici. Récit d’un accès au monde. Pas à pas. Longeant la rivière. Traversant la ville. Soleil vif. Une marche. Traversant la ville, jusqu’au bord du fleuve. Une marche, jusqu’au stade. Là, destruction partielle des tribunes anciennes. Là. Construction d’un nouveau bâtiment. C’est le matin. C’est Nantes. C’est un départ. J’arrive. Clermont-Ferrand, dix heures plus tard. Proximité d’un autre stade. Une autre étape. Combien de strates. Récit. D’un accès au monde. Récit. De chaque naissance. Récit. De chaque rencontre. Récit. De l’histoire de l’origine. Par la traque. Du début de l’histoire. Par la traque. De l’origine. Du début de l’histoire. Par la recomposition. Par l’invention d’un lieu. Par la détermination. D’un terrain. De jeu. Je suis né. Au centre des regards, avec un but à atteindre. Nommer l’origine. Ici. Tout commence avec un terrain de jeu commun. Un terrain de sport. C’est dans un village. L’histoire commence ici. Elle a quinze ans. Elle est née en 1946. Aujourd’hui elle a quinze ans et elle regarde ce garçon qui court après un ballon sur le terrain de sport. Le garçon a vingt-quatre ans. Il y a. Un instant très précis dans l’histoire du monde : où leurs deux regards s’interpénètrent. L’instant de ce regard est l’origine de chaque instant de ma vie. L’instant de ce regard est l’origine de chaque mot que j’écris. L’instant de ce regard n’est qu’une étape dans l’histoire de l’origine. Récit. Du début. De l’histoire. Je recompose. J’invente un lieu de rencontre. Je traque le vrai. Je traque la fiction nécessaire à ma vie afin qu’elle advienne. 24 décembre 1960. Elle a quatorze ans. Il en a vingt-trois. Elle le voit pour la première fois. Début de l’histoire. Elle le voit pour la première fois mais pour cette première fois, lui, ce n’est pas elle qu’il voit. Lui, c’est son père à elle qu’il voit pour cette première fois. Début de l’histoire. Vérité du début de l’histoire. C’est à l’occasion d’un mariage fêté le 24 décembre 1960 à Chantelle dans le département de l’Allier en France. Au petit matin, le 25, je me souviens, il y avait des huîtres, et peu de monde qui en mangeait. Moi, j’en mangeais. Il y avait un autre homme qui en mangeait. Un autre homme qui en mangeait beaucoup. Un autre homme qui avait bu toute la nuit et qui mangeait des huîtres au petit matin, c’était son père, son père à elle. Première regard, vers elle. Ce n’est pas elle qu’il regarde. Premier regard, dans l’histoire. Première image, faite par deux regards qui s’enchaînent. Le jeune homme voit le père de la jeune fille. La jeune fille voit le jeune homme. Qui voit qui en premier. Une adolescente regarde un jeune homme qui regarde un homme qui est le père de l’adolescente qui adore son père. Quelle est cette adoration. Qui regarde. Quelle est cette reconnaissance que l’adolescente lit dans l’attention du jeune homme à l’égard de son père qu’elle adore. Deuxième date. Même village. Mars. Avril. 1961. C’est la première danse. Elle a quinze ans. Il en a vingt-quatre. C’est le premier contact des corps. C’est là. C’est là que tout commence vraiment. C’est là que les corps se touchent, pour la première fois. Rien ne s’est passé au centre du stade. Rien ne s’est passé dans la nuit du 24 au 25 décembre. Correction. Au centre du stade, la sensation du regard de mon père sur mon corps pas fait pour être là, vingt ans plus tard. 1981. Au centre du terrain de sport, mon corps en train de courir après baballe bon petit chien, mon corps, pas fait pour être là. Mon corps, pas fait pour être un chien. Ici. Regard d’un père sur le corps de son enfant. Ici. Corps. Poids de l’attente d’un père. Corps. Ici. 2001. Révélation. La mère déclare à l’enfant qu’il est la passion qu’elle n’a jamais eu. L’enfant sait que passion = mort et demande à sa mère alors mon père c’est qui mon père c’est quoi ? L’enfant pense que si passion = mort alors père = vie et la mère pense : ton père a d’abord regardé le mien avant de me regarder moi, mon amour pour lui est dans ce regard premier. La mère demande à son enfant à quoi tu penses. Je. Pense. À ne pas devenir fou. Je. Pense. Qu’il ne s’est rien passé au centre du terrain de sport. Je pense. Il ne s’est rien passé. Rien, sinon la mise en acte d’une vengeance – ou d’un respect – à l’égard de l’attention d’un jeune homme portée au père d’une adolescente. Je pense. À défaire la blessure d’un amour naissant par un autre. Je pense : à défaire l’admiration. J’ai. Un doute. Je. Pense. Être le fils de son père à elle et pas le fils du mien. J’ai. Un sérieux doute. Bien trop sérieux. Une vie, entière : à devenir le fils de son père. Une vie, entière : à défaire les fils. Stop. C’est aujourd’hui. Adieu. Pères et fils, adieu. Salut. Solo. Solo de ma naissance. 14 avril 2009. Une vie, entière : à comprendre que le centre du terrain de sport est bien le lieu de mon origine. Mais pas de la leur. Une vie entière à comprendre que mon origine : est à eux. Et que la naissance : est à moi. Une vie. La moitié d’une vie. Une vie nouvelle. Une vie qui s’ouvre. Et, par là où elle s’ouvre, je veux une fois encore, une dernière fois, aller voir d’où je viens. Pour la première fois, j’y vais, avec le nouveau corps qui ose écrire : maintenant. Je suis. Le fils incestueux dont mon père est le corps scandaleux. Je ne comprends pas cette phrase. Je la comprends trop. Je ne comprends pas. Je comprends trop. Avec ces trois mots : le monde est cul par dessus tête. Il m’a trop longtemps été interdit d’écrire une phrase de cette sorte. La seule interdiction qui frappe une phrase appelle et légitime son existence. Je n’écris : jamais la vérité. J’écris : le mouvement qui la révèle. La vérité : vient toujours après la dernière phrase, interdite, ou pas. Il y a, dans un lit, le corps de mon père qui s’interpose entre celui de ma mère et celui de son père à elle. Et le centre du terrain de sport est le lieu visible par tous où cette scène est donnée à voir, recomposée, par mon seul corps présent sans goût pour y être. Je suis. Au centre du terrain de sport. Proche du jamais atteint. Je suis. À l’extérieur du terrain de sport. Et je longe la ligne blanche qui délimite l’espace de jeu. Je suis à l’extérieur. Je marche tout autour. J’accélère. Je cours autour de l’espace de jeu. Les particules de mon corps et les particules de l’espace : accélèrent leurs courses. Et par le corps et l’espace accélérés j’accède à une sensation nouvelle, et, je vois : au centre du terrain de sport : immobile, un homme. Qui me regarde. C’est quand je perds connaissance que je le vois.

14.11.07. [2] C’est le matin. Je marche le long de la rivière. C’est le matin. Je traverse la ville. C’est le matin. Je rejoins le fleuve. C’est le matin. J’attends qu’une voiture s’arrête. C’est le matin. À côté du stade au bord du fleuve, j’attends. C’est le matin. C’est à Nantes. Une voiture s’arrête. C’est le matin. Je monte dans la voiture. C’est le soir. C’est une autre voiture. Elle s’arrête. C’est le soir. Je descends. À côté d’un autre stade. C’est à Clermont-Ferrand. C’est la nuit. Je m’assois dans les tribunes. C’est un autre jour. Une autre nuit. C’est à Chantelle. C’est dans le département de l’Allier. C’est en France. C’est la fin de l’été. Un orage éclate. Je cours me mettre à l’abri dans les tribunes du stade. J’appelle Patrick. Il ne décroche pas. Je lui laisse un message. C’est la nuit. Dans l’obscurité, je ne vois pas le terrain de sport. À ce moment-là de ma vie, je crois encore que c’est là qu’a eu lieu le premier regard. Je crois encore que c’est ici qu’elle le voit pour la première fois, celui dont je viens fêter l’anniversaire, dans deux jours. Clermont-Ferrand. Je pense au terrain de sport comme au lieu du règne enfui de mon père. Je pense au règne enfui de mon père. Ici, soudain conscient de mon rôle de maître, toute la nuit je pense au voyage que je viens de décider d’entreprendre : j’en perds le sommeil. C’est la nuit. Une tempête éclate à l’intérieur d’un corps dans lequel tournoient tous les stades de l’histoire, toutes les strates, toutes les étapes, tous les aigus, tous les graves. Et c’est à la fois juillet 62, juillet 42, septembre 73, et 68, 81, 83, 89, 01, 08, 35, 36, 37. Ce sont les années, qui deviennent des chiffres, et la mémoire qui hurle dans les corps. Ce sont des corps armés, des corps pacifiés, dans un même vacarme, ils demandent une mémoire vive. Ce sont des corps, vifs, dans les nuits, dans les jours. Ce sont des corps vifs, dans l’histoire. Ce sont des corps actifs, dans les nuits de l’histoire. Ce sont des corps encore assez vifs pour oser regarder la peur et lui répondre. Ce sont des corps, qui tiennent tête au Pouvoir. Ce sont là des ouvriers, des paysans, qui demandent une parole, neuve, pour le souvenir de ce qu’ils furent. Mains actives pour la pensée. Mains actives pour la terre. Mains actives pour la machine. Ce sont. Des mains d’amour qui inventent de nouveaux corps. Ce sont des corps, qui tiennent tête au Pouvoir. Ce sont des corps qui répondent : la menace d’une tempête mortelle ne freinera pas notre ardeur à vouloir répondre. Ce sont des corps. Ils disent : nous sommes prêts à affronter la tempête, pour écrire notre histoire, pas la vôtre. Dans notre histoire vous êtes présents. Dans votre histoire nous sommes absents. C’est grammatical. Je marche. Dans la nuit. Sans maître. Je me demande comment s’invente une nouvelle grammaire. Je marche. Sans maître. Je regarde les champs de blé, de betterave, de maïs, colza, orge, avoine. Dans la nuit. Sans maître. Les champs font leur lumière. Et je vois deux corps, là-bas, deux corps qui s’inventent. Une grammaire. Un plaisir. Première fois. J’invente. Je recompose. Je commence. Je convoque deux corps dans leur nudité. Je convoque deux corps dans la nudité d’un champ. Je convoque une armée constituée d’ouvriers, de paysans. Pour commencer. Une armée de filles et de fils de paysans. Une armée de filles et de fils d’ouvriers. Et nous marchons vers un château que nous allons détruire, conquérir, bâtir, nous ne savons pas encore. Notre force : tient par cette marche dans laquelle nous savons ne pas avancer seuls. En chacun de nous, une voix fredonne : c’est parce que nous sommes seuls chacun que nous ne le sommes pas, c’est par le seul de chacun que chaque force trouve à naître et qu’ensemble aujourd’hui nous marchons. Je me récite les noms des villages, des hameaux. Arçon. Aubepierre. Chantelle. Chirat. Deneuille. Ussel. Pour ne pas avancer seul. Je me récite les noms des villes. Clermont-Ferrand. Paris. Nantes. Aujourd’hui. Je sais. Il y a un maître. Aujourd’hui, je le sais. Il y a un intrus. Parmi les ouvriers et les paysans, il y a un maître qui se cache. Je ne le sais pas encore. Je ne sais pas encore le dire. Je ne sais pas encore dire l’histoire de l’intrus. Pas pour l’instant. Je l’annonce. Elle viendra. Avec les noms d’autres villes, d’autres villages, d’autres lieux. Je fais. Le récit de l’histoire d’un intrus. Je sais qu’il existe. J’en ai besoin. Cette nécessité provoque son existence. Je reprends. Je reprends la conversation. Que nous avions autrefois. Non. Je reprends. Par le silence. Par le silence des corps. Par le silence de la terre. Je reprends. Pour le silence. Pour les corps qui ont gardé le silence. Jusqu’à la mort. J’écris. À leur suite. À leur attention. Ils sont vivants. J’écris, ceci, pour eux. Présent. Dans l'effacement. Retenu. Dans le tranchant. Pudeur. Pudeur sèche. Quelqu'un, dans le paysage. Un homme, absent. Présent, dans le paysage. Présent, par le paysage, décrit. Présent, par le paysage, vu. Entraperçu. Pour commencer. Présent, par le paysage, travaillé. Labeur. Sillons. Ténacité. Ténacité à l’œuvre. De siècle en siècle. Aujourd’hui. Sillon. Terre ensemencée. Aujourd’hui. Terre. Labeur. Ténacité. Des hommes présents. Dans le paysage. Aujourd’hui. Génération muette. Aujourd’hui. Sillon. Seul. Dans la terre. Quelqu’un. Dans le paysage. Aujourd’hui. Quelqu’un. Ose le mot. Quelqu’un. Aujourd’hui. Ose dire. Le muet. Le sillon. Seul. Quelqu’un. Aujourd’hui. Ose. Le mot. Pour. Ne plus toucher la terre. Ose. Ne plus toucher la terre. Ose. Toucher la terre. Par le mot. Pour. La creuser. Pour. La défaire. Pour, là, creuser, jusqu’à trouver, en son centre : le noyau, le feu. Et là : refaire le jeu. Déplacer le centre. Inventer un autre centre. Un autre milieu. Démultiplier les centres. Déplacer les milieux. Déclasser l’origine. Désorienter. Inventer les règles d’un nouveau jeu. Croire. À la possibilité d’un nouveau jeu. Écrire. Le récit de l’invention des règles d’un nouveau jeu, où chaque rédacteur écrit la nécessité de défaire les règles même dont il a participer à la création. Écrire. Le récit du départ, dans ces conditions. Écrire. Le récit de la trahison, de la fidélité, de l’oubli, de l’affirmation faite aujourd’hui : à l’aune de la mémoire de chaque jour vécu. À l’aube de la mémoire de chaque jour. Écrire. Le récit de chaque jour. Jusqu’au plus sombre où la vie se trouva pensée comme une succession de jours non-vécus. Écrire. Le récit de chaque jour jusqu’au jour sombre où la vie s’écœura de penser si penser c’était penser ça. Écrire. Le récit de chaque jour. Jusqu’à la réconciliation, avec les jours, avec tous les jours. Avec la mémoire enfuie des jours pensées non-vécus. Avec la mémoire enfuie des jours enfouis dans la terreur. Réconciliation. Avec le corps pas encore venu. Mémoire. Écrivant le récit du jour qui vient. Mémoire. Écrivant le récit des jours de ce corps : aujourd’hui. Aujourd’hui : est le nom de ce corps.

14.11.07. [3] Et je rejoins tous les stades. Et dans la campagne, rase, j’arpente les chemins et je vois les fermes en feu des guerres multiples. Et j’entends les cris et je sens les larmes des corps blessés jusque dans ma propre gorge. Est-ce que j’entends les rires des corps dans la joie. Est-ce que je vois ce rideau blanc très doucement voler devant cette fenêtre ouverte, et dans la chambre les corps des amants sans image à offrir au monde. Est-ce que je connais ce plaisir de deux corps dans l’abandon, et la disparition du monde. Est-ce que je connais ce feu. Je marche. Dans la campagne. Tout un été. As-tu jamais connu ce plaisir de deux corps dans l’abandon. As-tu jamais connu la disparition d’un monde. As-tu jamais connu ce feu. Je marche. Et je vois et revois chaque naissance. Chaque maison. Chaque maison de chaque naissance. Ici, naquit la mère de la mère. Ici, je vois la femme aujourd’hui qui vit dans la ferme. Je vois son mari. As-tu jamais connu ce plaisir de deux corps dans l’abandon. As-tu jamais connu la disparition du monde. As-tu jamais connu le feu. Cette femme, et cet homme, ont peut-être connu ça. Moi, je vois les chiens. Je vois les chiens de cet homme. Je vois l’amant de cette femme. Je vois le village. C’est dans la Creuse. Aubepierre. Je fais apparaître les noms, les lieux. Par les mots les plus pauvres. Par les éléments premiers. Terre. Lumière. Aube. Pierre. Creuse. Et par les morts, je cherche l’adresse, et le passage d’une terre à une autre. Par la lumière du jour présent. J’arpente. Je marche. Vers le vivant. Je marche. Avec toi. Sur les chemins de la Creuse. Mère de la mère. Est partie de là. Inutile d’y revenir. J’y reviens. Creuse natale. Ta Creuse, mon enfant, creuse. Je parle aux morts. Je parle. Je parle à une morte. Elle m’entend. Je n’y crois pas. Je lui parle. Elle est partie. Ton enfance. Ta Creuse. Elle est partie. Bien morte. Mère de la mère. Ses parents. Ce sont eux qui sont partis. Pas toi. C’est ton père, qui est parti d’ici. Pas toi. C’est ton père, ta mère. Ton père ta mère et l’autre enfant ton frère et toi. Vous avez suivi le père. Dans la ville, Paris. Je t’y ai suivi, soixante ans plus tard. Je me suis assis, sur un banc. Soixante ans plus tard. Là, je touche l’épaule d’une femme et je dis pourquoi je fais ça. Soixante ans plus tôt, ton propre banc. 1933. Un homme assis à un arrêt de bus, il attend. Un homme que tu feras tien. Un homme, qui te donnera l’enfant. L’unique. Enfant. Ne sera pas garçon. Pas celui-là. Un prénom est en attente pour le garçon pas venu. Pour le corps du garçon à venir. Ce sera moi. Trente années plus tard. Une fille vous le donne. Vous donne le corps du garçon. Ensemble, vous lui donnez le prénom qui attend. Je porte. Le prénom qui attendait un corps. Et je parle de cet homme. Arrêt de bus. 1933. Devient ton homme. Tu le regardes. Le choisis. Je parle de cet homme - nuit d’hiver, 1960, décembre. Je parle de cet homme regardé par celui qui sera mon père. Je parle d’un arrêt de bus. Paris. Banlieue. 1933. Janvier. Je parle d’un autre banc, 1988, printemps. Je parle de la rencontre d’une femme et d’un homme. Janvier, 1933. Je parle de cette femme et de cet homme qui ont vécu ensemble chaque jour de leur vie à partir de ce jour de janvier 1933. Chaque jour des jours de leur vie à l’exception des jours de guerre, dite seconde, mondiale. Silence des morts. 1933. Parole des vivants. 1937. 1946. 1968. Je parle d’un jour de 1933 où un homme et une femme sur un banc décident que c’est ensemble qu’ils vont mourir, à Chantelle. Elle ne connaît pas encore le nom de ce village que déjà s’asseyant aux côtés de cet homme elle y inscrit sa tombe. Viens vivre avec moi. Viens mourir avec moi sur cette terre où je suis né lui dit l’homme lorsqu’ils se regardent pour la première fois tous les deux assis sur ce banc. Viens vivre les derniers jours avec moi. Ils ont vingt ans. Quelque chose du bonheur existe pour eux entre ce banc de 1933 et cette tombe à Chantelle dans laquelle aujourd’hui ils reposent. Je voudrais. Me reposer. À tes côtés. Je voudrais. Que ce banc. Et cette tombe. Pour toi et moi. Fondent sous la chaleur du récit. J’en fais le pari. Nos corps, pour cela, se devront d’être multiples. Parle au présent maintenant. Par le présent, une fois encore. Par le présent, une fois vraiment, écris ce passé. J’écris : leur passé. J’écris. Les heures passées, par le présent. J’écris : leur passé afin que ma vie commence. Maintenant. Nécessaire, encore. De passer par eux, par leurs vies. Et d’y inscrire par mon seul corps et ma voix très seule le commencement de ce que je suis. [Désapprentissage du je : plus tard]. Aujourd’hui. J’écris jusqu’à leurs morts. Chantelle. Aucun d’eux n’y est mort, pour finir. Chantelle : un lieu pour naître, pas pour mourir. Un lieu où le père et le père de la mère sont nés tous les deux. Une nuit de décembre 1960. Ensemble. Un matin de 1912. Un matin de 1937. Seuls. Chantelle. Un lieu pour venir vivre les derniers jours. Sans y mourir. Père et mère de la mère c’est à Clermont-Ferrand qu’ils sont morts, tous les deux. Séparément. Là même où le père et la mère aujourd’hui vivent. Là même où je suis né. Il suffit de trouver une cohérence à l’histoire, et tout devient possible. Il suffit de construire un délire qui délie les liens pour que s’ouvre le libre et que le livre puisse enfin s’écrire et déborde les mots. Aujourd’hui. Clermont-Ferrand. 14 novembre 2007. Dans deux jours, anniversaire du jour de la naissance de mon père. Passage. Nécessaire. Fêter la venue de ceux par qui tu es venu si tu veux pouvoir fêter la tienne.

14.11.07. [4] Je traverse un océan. Je traverse une route. Je contourne un rond point. Je traverse un pont. Des hommes débitent du bois à proximité d’un rond-point. Des hommes utilisent une tronçonneuse. Le bruit de la tronçonneuse prend toute la place au bord de la route. Je m’éloigne du rond-point. Le bruit de la tronçonneuse disparaît derrière moi. Je marche le long de la route. Longue ligne droite dans le froid du vent. Une voiture s’arrête. La porte s’ouvre. J’entre. Je m’assois à l’arrière. Je passe à l’avant quand le passager de l’avant s’en va. Je m’assois quand la place est libre. Je m’assois quand la place est vide. Je touche l’épaule de la femme et demande pourquoi je fais ça. Je m’assois dans le confort ou l’inconfort des places existantes. Je pense. Aux vies que j’ai traversées. Je pense. À celles qui m’ont traversé. Je pense à l’attention qui a manqué. Je ne demanderai plus jamais pardon. Est-ce que j’ai jamais demandé pardon. Je pense. À l’attention juste à porter à chaque instant. Je pense au vide. Je ne sais pas ce que ça veut dire. Je pense que ma mémoire est un trou béant ouvert sur ma vie. Je sais seulement que le corps est le lieu de la mémoire. Le lieu vivant de la mémoire. Je sais que mon corps est un trou béant ouvert sur ma vie. À ma gauche, le conducteur de la voiture est un traducteur. Il traduit. J’écris. Nous traversons. Un territoire. Des lignes. Il traduit la ligne droite et les courbes de la route en mouvement dans son corps afin d’ajuster la trajectoire de la voiture. Il traduit les mots d’une langue dans une autre. Je lui dis nous faisons le même métier. Nous traduisons en mot la pensée sans mot. Je lui dis oui c’est ça, le même métier : nous matérialisons la pensée par l’agencement de certains mots. Il dit non moi je ne fais pas ça. Je modifie la phrase. Je dis nous traduisons en geste la nécessité de certains déplacements. Il dit peut-être, mais à part ça, vous, vous faites quoi. Je. Fais le récit d’une mémoire sans mouvement conscient. Je. Retrouve certaines images, fixes. Je laisse venir les sensations, pour faire le récit. Je laisse les sensations traverser le corps. Je suis assis à vos côtés. Je descends de la voiture. J’attends. Je marche le long de la route. Je tends le bras. Une porte s’ouvre. Je monte à l’arrière. Deux jeunes infirmières, devant. Leurs examens de dernière année. Et toi quand tu seras grand tu feras quoi. Moi, je veux être éboueur. Les éboueurs, c’est un métier de pauvres, et ils sont riches. Les éboueurs, ils ramassent tout ce que vous ne voulez plus. Ils font disparaître, ils gardent, ils recyclent, ils revendent. Je veux être éboueur, avec des bidons jaunes en plastiques et tout ce que vous ne voulez plus, j’en ferai de l’or. Une des deux infirmières se retournent et demande ce que je compte faire de ce trésor. Faire payer. Vendre l’invendable. Défaire la trahison. Ou bien au contraire l’accomplir. Dépenser la défaite. Et devenir serveur dans un grand restaurant, aussi, pour enfoncer mes doigts dans les fromages au moment de les présenter aux clients. J’aurai mon gentil sourire, et un nœud papillon en train de se défaire. Et dans les yeux : l’image d’une voie express qui traverse la ville. Et dans tout le corps : le froid du vent. Et je vous regarderai.

14.11.07. [5] Assis. Au côté du conducteur. Devant. Dans sa voiture. Il y a 24 ans, il traverse l’océan. 1983. Il arrive du Chili. Paris. Sans papier. Sans un mot. Sans parler la langue. Il traîne dans le métro. Il s’appelle Ugo. Aujourd’hui, il travaille à Montpellier. Sa famille vit à Vannes. Quand il parle de sa femme, il dit : l’autre. Je descends. La voiture s’éloigne. Une autre s’arrête. Je monte. Je m’assois. Le chauffeur à ma gauche est conducteur de rames de métro. Paris. Sa fille vit à Nantes. Il va rejoindre sa mère, dans la Nièvre. En 1983, la possibilité que lui et Ugo se soient croisés dans le métro. En 1983, j’ai 15 ans. Je vis à Clermont-Ferrand. 28 rue de l’oradou. Récits. Appartement de la rue de l’oradou - récit 1 - 27 avril 2007. Appartement dans lequel j’ai vécu entre 1974 et 1987. Et toi, où vivais-tu. Et toi, à quoi ressemble à cet instant la pièce dans laquelle tu lis ces mots. A quoi ressemblait cet appartement dans lequel j’ai commencé d’écrire ce que tu lis aujourd’hui. L’appartement. L’appartement de la rue de l’oradou. Les clés. Les clés de l’appartement de la rue de l’oradou. La porte, le couloir, une première chambre à droite, le salon, la salle à manger, la deuxième chambre au fond à droite, la mienne. Les fenêtres de la chambre. Les fenêtres aux larges vitres. Le goût pour la lumière, dans les lieux où j’ai vécu. Que la lumière entre. Et le souvenir, entre. Avec sa charge de mort. Ciel gris-noir uniforme, vu un jour ici dans cette chambre. Un jour allongé ici, sur ce lit. Et le ciel. Gris-noir uniforme. Qui pénètre le corps. Ciel gris-noir. Masse très concrète et si proche. Proximité comme alors palpable de la mort. À la fois face à moi, et dedans. Masse comme proche à pouvoir la toucher. Masse uniforme si proche. Nuage gris-noir recouvrant le ciel dans son entièreté. Mort à portée de mon corps. Sensation dans le ventre. Naissance. Mort. C’est arrivé là, dans cette chambre : par les fenêtres ouvertes. En bas, le toit des garages. Me pencher par la fenêtre et par la pensée traverser le toit des garages et en sous-sol me retourner. Ne te retourne pas. Je me retourne. Je rejoins le couloir et les caves. Je rejoins la cage d’escaliers. Je tourne à gauche. Je gravis les marches jusqu’aux boîtes aux lettres. Notre boîte aux lettres en haut à droite du bloc de huit boîtes aux lettres. [Notre boîte aux lettres]. La clé de la boîte aux lettres, la clé de l’appartement, la clé de la cave, la clé du garage. Les clés de la rue de l’oradou. Il devait y avoir une autre vérité qu’on nous cachait, pas possible, quelque chose clochait, cette réalité ne tenait pas. Il manquait la colère. Je sors. Je descends les grands escaliers. À droite, la rue rejoint la patinoire, tout au bout de la rue, très longue. Plus loin encore, ayant quitté la ville, les immeubles où vivent mon oncle et sa femme on dit ma tante. Je m’arrête sur le trottoir. À gauche, la rue file jusqu’au premier carrefour. À gauche, l’école. Maternelle. Primaire. Tout droit : le collège, le lycée. Les allers-retours. Entre 1979 et 1987. Le trajet de chez moi jusqu’au lycée. Collège. La marche sur le trottoir et chaque jour l’angoisse de croiser le petit homme qui me frappe d’un coup d’épaule. Quatre fois par jour, deux allers, deux retours. L’angoisse du petit homme qui me frappe d’un coup d’épaule à chaque fois que nous nous croisons. Combien de fois ai-je traversé la rue. Combien de fois a-t-il joui de sa victoire à me voir dans la peur traverser la rue dans la peur qu’il traverse la rue. Combien de fois à ne pas traverser la rue dans la honte qu’il puisse lire ma peur. Combien de fois à préférer vivre l’angoisse et le coup d’épaule à l’instant où nos deux corps se croisent. Allers-retours. Entre cet appartement et les salles du collège, lycée, où chaque année je comprends moins ce qu’il m’est nécessaire d’apprendre. 1987. Je prends un train. Paris. Allers-retours toutes les semaines entre Clermont-Ferrand et Paris. Jusqu’au mois de février 1988. Une nuit, je frotte mon visage contre les murs, je me souviens très bien. Une nuit, je pose ma main sur l’épaule d’une femme et je demande à voix haute pourquoi je fais ça. Une nuit, où la chambre au fond du couloir à droite est encore pleine des objets de l’enfance. Je n’y suis plus. J’y suis toujours. L’appartement de la rue de l’oradou. La salle à manger. La cuisine. Les toilettes. La salle de bain et mon père qui se mouche dans le creux sa main droite, tous les matins. Le petit couloir et le meuble sous un miroir. L’argent volé dans les porte-monnaie. Le petit couloir, desservant la cuisine, les toilettes, la salle de bain, ma chambre. Je me tiens. Face au miroir entre la porte de la salle de bain et la porte des toilettes. Je me retourne. Ne te retourne pas. Je me retourne. Je vois la porte d’entrée au bout du couloir. Je vois la porte de la chambre de mes parents, à gauche. Je vois un lit, une armoire, une table de nuit, une revue pornographique, une serviette, je vois le sperme sur ton ventre, je vois la mer stérile et je tiens serré dans la main droite les clés de ce lieu dans lequel j’ai vécu. Les clés de l’appartement de la rue de l’oradou. Avril 2007. Je donne ces clés à John pour une sculpture qu’il est en train de réaliser. Une sculpture faite d’objets qu’il demande qu’on lui donne. Des objets qui comptent. Qui ont compté. Qui comptent encore. Avril 2007. Je lui donne les clés de l’appartement de la rue de l’oradou. Un an plus tard, John enterre la sculpture avec les clés. Quelque part au bord de la Loire. Appartement de la rue de l’oradou - récit 2 - 13 mars 2009. Je lis à Paris un texte que j’ai travaillé durant les jours qui ont précédé sa lecture. J’ai imprimé ce texte. Je l’ai effacé de l’ordinateur. Au fur et à mesure de la lecture, je plonge les feuilles dans l’eau. Disparition de l’encre. Appartement de la rue de l’oradou – récit 3, 26 avril 2009. Tu es face à une porte. Dans la main droite, poing fermé, tu tiens serrées les clés qui ouvrent la porte [tenir = soi]. Tu tends le bras. [Tendre = donner]. [Violence. Tendre. Vers. Tendresse. Violence]. Les clés serrées dans ta main sont maintenant au-dessus du vide de la cage d’escaliers. Tu es au quatrième étage d’un immeuble. Tu es face à la porte de l’appartement dans lequel tu as vécu entre 1975 et 1986. Tu défais l’étau qui enserre les clés dans ta main. Tu défais l’étau qui enserre. [Ouvrir. Lâcher]. Les clés tombent dans le vide. Tu fermes les yeux. Tu entres dans l’appartement. Tu marches dans le couloir. Une première porte, à droite. Tu n’entres pas. [Ne pas entrer]. Tu continues dans le couloir. À gauche, la salle à manger. La lumière pénètre dans la pièce par une large baie vitrée. [Entrer. Entre. L’espace entre. Deux espaces. La lumière pénètre. Un espace]. À droite, le salon. Tu entres dans le salon. [Entrer]. Là, une bibliothèque aux portes vitrées. Derrière les vitres, les livres, muets. Sous les livres derrière leurs portes vitrées, d’autres portes, en bois celles-ci, plus petites. Derrière ces portes, les albums-photos. Tu ouvres une porte. [Ouvrir]. Tu prends un album photos. [Ouvrir. Prendre.] Tu ouvres l’album-photos. Tu feuillettes. Tu t’arrêtes sur une photo. [Arrêter]. Tu regardes l’image. Tu reconnais les corps. Tu reconnais le tien. Tu es dans la salle à manger avachi sur une chaise en fin de repas. Tu vois l’ennui dans ton corps. Tu quittes la chaise. Tu vas dans le salon. Là, une femme est assise dans un des fauteuils. Quand tu lèves ton visage vers le sien, son regard pénètre le tien. Quand tu lèves ton visage vers le sien, ton regard plonge dans son regard et des mots pénètrent ton corps et te parlent d’amour en une langue muette dont tu ne connais pas encore en toi la traduction adéquate qui te permettra de quitter cette pièce. Tu regardes l’image. Tu refermes l’album-photos. Tu quittes le salon. Tu continues d’avancer dans le couloir. Tu rejoins la chambre au fond à droite. Tu entres dans la chambre. Tu marches vers les fenêtres et tu les ouvres. En bas, le toit des garages souterrains. Tu fermes les yeux. Tu traverses le toit. Tu es dans les sous-sols, face aux portes des garages. Tu te retournes. Ne te retournes pas. Tu te retournes. Tu pousses une porte. Tu marches dans le couloir qui dessert les caves. À ta gauche, une porte qu’ouvre une des clés que tu retrouves au sol quelques pas plus loin. Le bas de la cage d’escalier. Tu laisses les clés au sol. Tu prends l’escalier. Tu remontes d’un étage. Dans le hall d’entrée, les boites aux lettres. L’absence des boites aux lettres. Les boites aux lettres aujourd’hui : dehors. Les boites aux lettres en bois. Les boites aux lettres aujourd’hui : en métal. Tu sors. Tu descends quelques marches pour rejoindre la rue. Tu t’éloignes de l’immeuble. Au premier carrefour, tu laisses à ta gauche l’école maternelle, primaire. Tu continues tout droit. Au second carrefour, face à la masse des bâtiments du collège, lycée, tu bifurques à droite. [Les bâtiments : avril 2009 – Conférences pour une Genèse]. Tu marches jusqu’à la gare. Tu montes dans un train. Tu entres dans un compartiment. Là, un homme est assis. Quand tu lèves ton visage vers le sien, dans son regard tu pénètres une attente à laquelle nulle traduction en toi ne sait encore répondre. Une attente, en toi, à laquelle tu penses alors qu’il t’est nécessaire de répondre par la pénétration du regard de cet homme. Une équation indéchiffrable à laquelle tu donneras plus tard la solution suivante : ce n’est pas en répondant que se forme un corps, mais seulement en assumant sa présence. Solitude de la présence. Je m’assois en face de l’homme. Le paysage défile. Des hommes et des femmes travaillent encore de leur main la terre. Le train entre en gare de Paris. Pensée vers l’inconnu d’un train. Pensée vers l’inconnu des trains qui arrivent à Paris. Mère de ta mère. Père de ta mère. Et ce banc de 1933. Et le village où Lucie et Roger. Tous les noms réapparaîtront. Lentement. Laisse-les venir à toi. Tu sors de la gare. Par les sous-sols. Tu rejoins une nouvelle chambre. Ton corps n’est pas encore prêt pour la solitude. Tu fréquentes l’université. Tu bâtis un bunker dans le hall de l’université. Tu te réfugies derrière les murs épais du bunker. Une fine fente troue le béton par laquelle tu laisses entrer les images du monde. Les images ne touchent pas. Tu penses que l’on t’oublie. Tu voudrais que l’on t’oublie. Impossible. Un matin, on vient te chercher. Tu pars en courant. Tu te réfugies dans une nouvelle chambre. Là, dans un mur, tu découvres une nouvelle porte, qui ouvre sur une nouvelle pièce. Tu entres. Tu commences à écrire. Tu commences à défaire les images afin de pouvoir toucher le monde. Tu n’es pas encore prêt. Mais tu commences. Un jour, le récit du vieux sera fait. Un jour, le récit que le vieux ne t’a jamais fait, le récit qui te manque, un jour tu le feras. C’est maintenant. Tu as commencé. Le récit par lequel articuler les mouvements de ton corps, de tes phrases. Aujourd’hui. Je suis prêt.

14.11.07. [6] Aujourd’hui. Midi. Manger sur un banc. Aujourd’hui. 13h00. Marcher à la périphérie de la ville. Tours. Aujourd’hui. Quitter la périphérie de la ville. Tours. 14h00. Aujourd’hui. Patrick m’appelle pour savoir où j’en suis du voyage. Marcher. À la périphérie de la ville. Tours. Marcher. Au bord de la Loire. Marcher. Quelque part dans le centre du pays au bord d’un fleuve en proximité duquel sont enterrées les clés de la rue de l’oradou. Marcher sur un trottoir. M’arrêter devant un panneau. Vierzon, 111 kilomètres. Aujourd’hui. 15h00. Assis au côté d’un conducteur de rame de métro à Paris. Il était ce matin à Nantes, chez sa fille. Il sera ce soir dans la Nièvre, chez sa mère. Aujourd’hui. La nuit tombe. Péage d’autoroute. Bourges. Le froid dans les doigts commence à faire mal. [le froid dans le corps de ceux qui vivent à la rue.] Une voiture s’arrête. Une porte s’ouvre. J’entre. Je m’assois aux côtés d’une jeune conseillère en code du travail. Nous parlons. Le chauffage réchauffe le corps. Montluçon. Elle s’arrête. Je descends. Je dis merci. Au revoir. Se revoir. Ne jamais. J’appelle Patrick. Je le renseigne sur la progression du voyage. Je me rapproche de Clermont-Ferrand. Une voiture s’arrête. Une porte s’ouvre. J’entre. Je m’assois aux côtés d’un jeune conseiller commercial en pharmacie. Nous parlons. Le chauffage réchauffe le corps. Je découvre des métiers dont j’ignorais l’existence et qui mettent des femmes et des hommes sur les routes. Je fais un voyage. Me ramène là où je suis né. Je viens. Fêter l’anniversaire du jour de la naissance de mon père. Je passe la première soirée à Clermont-Ferrand avec Patrick, Christine, Lubin, Anouk.

14.11.07. [7] Il se réveille à 6h00. Il finit de préparer ses affaires pour le grand départ. Il décolle tous les dessins de Marie scotchés au mur. Il fait place nette sur les murs dans la perspective de son retour. Il prévoit de revenir. Il s’en va. Il marche dans quelques rues de Nantes. Il traverse Nantes. Il marche jusque vers la Loire. Il passe à côté de chez Soizic. La première voiture qui s’arrête est conduite par un homme qui va traverser l’Atlantique à la rame pour un voyage en solitaire dans 60 jours. Il fait du stop entre Nantes et Clermont-Ferrand. Il fait le récit de son voyage. Il prend des notes. Il relit l’Odyssée. Il relie des points entre eux. Il a rendez-vous à Clermont-Ferrand avec Patrick au niveau du rond point des pistes de l’usine Michelin. Tous les noms reviendront. Tous les noms reviennent. Tous les lieux. Il est 19h30. Il passe la soirée chez Patrick, Christine, Lubin, Anouk. Il mange, il parle, il boit, il dort chez eux. C’est la première fois qu’il dort chez eux. Il parle avec Patrick de ce projet qu’ils ont tous les deux. Leur mémoire commune. Leurs mémoires séparées. Il éteint la lumière vers une heure du matin. Il ressent la fatigue de la journée passée au grand air, avec le froid, et le vin, pour finir.