[16.11.07]




16.11.07. [1] Les mots de départ. Quelle œuvre passée. Quelle à venir. Quel présent. L’avenir qui s’écrit au présent, pas moins que le passé. Le passé a eu lieu. Le passé a eu des lieux. L’avenir : une utopie. Des lieux et des objets desquels se défaire, se détacher. Y revenir tout autre. Y revenir, avec une ou un autre. Y revenir, avec une et un autre. Y revenir en nombre. Avec la force d’une armée. Il est temps de faire. D’organiser l’armée. De comprendre de quelle armée se défaire afin de constituer quelle autre désirée. Quelle autre armée pour quelle autre guerre. Je te raconte. L’invention d’un nous jamais acquis. Je te fais le récit de l’origine d’un nous. De sa vie au présent. Ils viennent d’où tes mots. Il vient d’où ton théâtre. Je veux. L’impossible récit de l’origine. Le seul à travailler. Nouveau titre du projet : À la place de l’origine. Un lieu, au présent : ouvert à l’origine qui vient. Une armée s’invente. Pourquoi tu fais du théâtre. Pourquoi tu fais avec le théâtre. Pourquoi tu fais avec les mots. J’écris, au dos du passé. En transparence de la feuille, je vois de l’autre côté les mots du passé. Je sais qu’ils sont là, derrière. Cela ne suffit pas. L’attention que je leur porte ne suffit pas. Elle doit se déployer en même temps qu’une action.

16.11.07. [2] Clermont-Ferrand, Paris, Vallabrègues, Chantelle, Rennes, Nantes. Te parler des lieux où j’ai vécu. L’écart entre : te parler de là où j’ai vécu, et : te parler de ce que j’ai vécu. Quoi fut ma vie jusqu’à ce jour pour, prenant la parole, oser dire j’ai vécu. Le présent : dans lequel je vis. Le présent : par lequel ces deux mots, je vis, tissent un lien ténu, tendu entre voir et vivre. Entre un passé simple et un présent. Par l’attention portée au passé liée à l’action au présent, je ferai que mon passé soit vécu, à défaut qu’il le fut au présent de son temps. Par l’attention et l’action je défais la mort de mon corps de mort contre laquelle aucune armée, sinon la solitude la plus vive, viendra à bout. Une armée de solitude. Une vie. Armée de solitude. Vive.

16.11.07. [3] Clermont-Ferrand. Naissance. Clinique des neufs soleils. 1968. 21 juillet. 3h20. Rue. Des neuf soleils. Enfance. 1968-1974. Séquence historique d’une émancipation et de la réalisation éphémère de l’impossible d’une révolution. Rue de l’oradou. Une adolescence. 1974-1987. Une photo. Septembre 1975. Rue des Picaudelles. Chantelle. Qui a pris cette photo.





Cette image. Il y a. Un corps entre cette image, et un paysage qui lui fait face. Il y a. Un espace face auquel se tiennent les corps ici photographiés. Un paysage dans le dos de celle ou de celui qui nous prend en photo. Il y a sur cette image, ici visible et prise par un corps à ce jour inconnu, mon corps entre l’homme et la femme qui pour enfant n’eurent pas un garçon mais une fille qui leur donna le garçon que je fus. Que je suis. Il y a : un corps invisible entre cette image et le paysage qui lui fait face. Le paysage en face, ce sont les montagnes, au loin, visibles par temps clair. Dans la brume = il fera beau. Au pied des montagnes, la ville de Clermont-Ferrand. Nous faisons face tous les cinq sur cette image à la ville : 1. où je suis né ; 2. où mes parents et moi à cette époque vivons ; 3. Où l’homme et la femme qui pour enfant n’eurent pas un garçon mais une fille qui leur donna le garçon : mourront. 4. que l’homme et la femme qui eurent le garçon s’apprêtent aujourd’hui à quitter après y avoir vécu quarante-cinq ans. Nous sommes dans les starting-blocks. Nous sommes encore tous les cinq. Nous sommes les cinq doigts de la main d’un seul bras. Un corps a deux bras, deux jambes, normalement, et derrière nous, à l’opposé de la direction dans laquelle nos corps s’apprêtent à s’élancer, la rue qui remonte et qui rejoint le village. Au bout de la rue, tourner à gauche, prendre la rue qui descend. En bas, tourner à droite et marcher dans la rue de la Font-Neuve. [La fonte. Neuve. Fondre un nouveau métal.] Marcher jusqu’à la maison où vivent Lucie et Roger. Deux autres corps. Les corps autres sont là. Dans la fonte neuve d’une rue à laquelle nous ne nous préparions pas à accéder. Aller leur dire bonjour, quand la photo sera prise. Aller manger ce soir chez eux. Il y a. Un espoir qui vient. Il y a. Un espoir en ce qui vient. Pas sur cette photo. Sur cette photo, une joie insouciante. Être. En face. Être. Entre. Être. Là-bas derrière. Encore dans l’ancien.

16.11.07. [4] Suivre le cours de l’eau. Entre Nantes et Clermont-Ferrand. Entre Chantelle et Nantes. À Chantelle, une rivière coule dans les gorges en contrebas du village. La Bouble. La Bouble se jette dans la Sioule qui se jette dans l’Allier qui se jette dans la Loire qui passe à Nantes avant de se jeter dans l’océan. À Clermont-Ferrand, une rivière invisible, souterraine, recouverte. La Tiretaine. La Tiretaine se scindent en deux rivières, l’Artière et le Bédat qui toutes deux rejoignent elles aussi l’Allier. Nul cours d’eau ne relie Chantelle à Clermont-Ferrand. Sinon notre histoire. Nos allers-retours chaque week-end. Vers la mort. Naissance.

16.11.07. [5] Quoi nous est commun de ces lieux. Quels souvenirs communs nous avons. Aller sur les lieux. Se dire les souvenirs. La vie des lieux, enfuie. La différence des récits des souvenirs crus communs. Quoi nous est commun si les récits de nos souvenirs crus communs sont différents. Les lieux des souvenirs d’un temps commun. Une période de la vie, entre le 5 février 1968 [naissance de Patrick] et le 21 juillet 1968 [la mienne]. Les jours que tu as vécus sans moi. Le temps bref d’une révolution en son désir réalisé. Les jours vécus en ton absence. Le récit pour dire le temps de l’absence, le jour du retour, les retrouvailles avec l’absent. La nécessité de la parole d’un absent. L’articulation désir-absence. Le temps, notre seul bien commun. Les temps de l’histoire commune. Les temps de l’histoire séparée. Ce lieu, tu ne connais de lui que ce que je t’en dis. Ce lieu, tu connais de lui ce que tu y vis, au temps de notre commune présence, maintenant que nous y sommes. Ce lieu : avant que je t’en parle. Ce lieu : après que je t’ai parlé. Ce lieu : après que nous y soyons allé. Ensemble. Ce qui s’y passe. Ce que l’on y voit. Ce que l’on y fait.

16.11.07. [6] Un travail, avec des enfants. Un travail, avec des amis. Un travail avec des inconnus. Adulte : participe passé de adolescere : grandir. Adolescent : participe présent. Passé. Présent. Participe. Un mot : portant un achèvement. Un mot : portant un mouvement. Un temps commun. Des temps séparés. Un travail qui commence. Dire : comment je me suis ancré, là. Dire : comment jamais nulle part. Dire : avoir un enfant. Là. Faire le pas. Faire un corps, autre. Avec, et dans, et pour, le temps. Un corps. Dont je serais la partielle origine. Renaître. Et se faire origine. Dans la matière du temps. Les corps. Un travail. Entre les lieux où nous vivons. Dans la distance. Un travail, par la présence. Par l’intermittence de nos présences réunies. Un travail sur l’intermittence, pas du spectacle. Avec = dans le même temps. Le temps commun. Le lieu commun. Un lien, à travailler. Travailler, à penser : un espace commun. Aux frontières vivantes. Une parole. Plusieurs paroles. Combien de paroles. Quelle écoute. Un corps. Une voix. Plusieurs corps. Plusieurs voix. La parole d’un corps. Une parole, réinterrogeant sans cesse au présent du projet l’avenir du projet. Un corps, réinterrogeant inlassablement l’avenir du corps au présent du corps. À chaque nouveau temps de travail. À chaque nouveau temps de sa vie. Ce qu’il en est, à chaque présent nouveau, de ce qu’il en fut de chaque point de départ. Les intentions d’origine. Les découvertes faites en chemin quant aux intentions d’origine. Les intentions présentes. La découverte au présent de ce qu’elles sont. ‘’Les petits enfants’’, Bashung. ‘’Oh my lover’’, ‘’Is this desire’’, PJ Harvey.

16.11.07. [7] On va le jeter, comme ça, ce sera fait. Comme ça, c’est réglé. C’est clair. Comme ça on est débarrassé. Mais il a dit quoi, au juste. En froissant le calque d’un trajet mal dessiné, il a précisément dit quoi. Froissé quoi. Le trajet. D’une marche dans la ville de Nantes. Le calque froissé, dans la chambre au fond du couloir, dans l’appartement de chez ses parents. La ville de Clermont-Ferrand. Une corbeille en osier fabriqué à l’école maternelle.

16.11.07. [8] Patrick vient le chercher à 11h00. Il passe la journée avec lui à parler du projet. Un titre. Un titre qui pointe : point de retour. Il mange à midi avec Christine et Patrick. Il entend les excuses. Il donne. Il ne donne pas. Son temps. Sa vie. La vie. Il pense au mot coupable. Il pense qu’il n’a jamais compris ce mot. Il entend la coupure dans le coupable. Il entend la possibilité de la coupure. Patrick le ramène chez ses parents. Il fait les tracés de certaines marches dans la ville de Nantes, sur des calques. Il fait le tracé du trajet entre Nantes et Clermont-Ferrand. Plan de Nantes. Plan de la France. Plan de Clermont-Ferrand. Il est dans la salle à manger de l’appartement de ses parents. Il offre La nuit sexuelle à son père. Le soir, il est au restaurant avec ses parents. Ils sont tous les trois. Ils parlent de Noël. Il dit qu’il ne viendra pas. Qu’il ne viendra plus. Il pense à la malédiction de la famille. Il leur dit autrement. Sa mère lui demande des nouvelles de sa vie amoureuse. Il dit non. Il ne regarde pas son père assis à sa droite. Il imagine la déception de son père. Il imagine la contrariété de son père. Il imagine leur déception à tous les deux. Il voit son père qui le regarde. Il sent l’admiration de son père. Il sent la déception de son père. Il sent que son père boit ses paroles. Il sent que son père l’écoute. Il sent que son père l’aime. Il sent que dans cet amour son père n’a plus peur et entend très bien la malédiction de la famille. Il sent qu’ils sont profondément d’accord là-dessus. Intense joie secrète. Ils sont tous les trois. Ils parlent simplement. Au plus simple de ce qu’ils savent dire aujourd’hui. Ne pas être passés l’un à coté de l’autre, quoique péniblement. Quelque fut notre lenteur, nos lenteurs, nos peurs, notre terreur du désaccord et de la guerre. Sa mère dit : se parler sans entrer en guerre. Il dit : poser le désaccord et l’extrême de la différence. Toute une vie. Sa mère lui donne un chèque pour Noël. Naissance du sauveur. Il fera payer. Le prix fort. À tous ceux qui ont voulu faire taire. Il fera payer. Le prix fort. À tous ceux qui ont voulu acheter le silence. Il ne fera rien payer. Il fera parler le silence.