[17.11.07]




17.11.07. [1] Fiction d’un jour à venir dont le récit se fait par le vrai du vécu. 28 avril 2009. 32 rue Félix Thomas. Nantes. Deuxième étage. Appartement 8. Bruit de l’aspirateur dans le couloir. Suivi de bruits de pas descendant l’escalier. Le monde, derrière la porte, à droite. Corps assis, derrière l’écran, à l’ombre. Lumière entrant dans la pièce à gauche par la baie vitrée. Dehors, la ville. Vue sur une grue géante tractant un chariot jaune depuis la rue derrière l’immeuble en fin de construction jusqu’à la rue devant l’immeuble en bord de rivière. Sur la table, les noms des lieux où tu as vécu. Les noms des lieux par lesquels tu es passé. Les points de souvenir des lieux. L’écrit des lieux. Les sons des lieux. J’étais là et toi où étais-tu. Je suis là et toi qu’en diras-tu de ce temps où je n’étais pas et dans lequel tu as vécu. À l’instant du retour chez toi. Où je t’attends. Comment diras-tu ce que tu as vu, ce que tu as fait. Là où je n’étais pas. À l’instant du retour chez toi qui n’est pas chez moi. Tandis que tu rentres chez toi, sans moi. Tandis que tu marches et que tu penses. Tandis que je pense. À toi. Tandis que je pense. À faire le récit de tous ceux que j’ai un jour vu dans ma vie. Le récit de tous ceux qui m’ont un jour parlé. De toi. Le récit de tous ceux en qui j’ai cru. Un jour. Tous ceux à qui je suis lié par une confiance, toujours active. Tous ceux à qui je suis liés par une trahison, toujours active. Écrire, à vrai. Retraverser les jours, à vrai. Comme on dirait : à cru. J’accrois : la masse de la matière à donner à lire. Voilà de quoi je participe. J’accrois la masse de cette matière et je la précise. Je fais le récit. D’un retour qui libère. Ouvre les mannes de la mémoire, et la possibilité d’un avenir.

17.11.07. [2] Il y a. Un homme. Ivre. Il y a la masse de son corps. À tout moment, il peut se lever et venir me frapper. Il y a la masse de son corps. Et cette nuit encore, en rêve, il vient sur moi et je m’en libère. J’appelle au secours dans le rêve et personne ne vient. Quand les deux mots franchissent enfin l’espace du rêve, je me réveille, je dis les deux mots ici, dans cette pièce. 32 rue Félix Thomas. Je me libère par le réveil. Souvenir d’une nuit de janvier 2005. Coup de couteau dans la chair du mollet droit. L’homme qui nous court après nous rattrape et frappe. Je ne sens que le coup. Je ne sens pas la lame qui entre dans la chair. Je sens la chaleur du sang. Je me réveille.

17.11.07. [3] Il y a un château dans la ville. Il y a dans la ville une carte du monde. Il faut la trouver. Il y a dans ton cœur une carte du monde. Il faut la trouver. Il y a dans le monde : ton cœur. Il y a le monde au dehors de ton cœur et tu n’y es pas. Il y a. Un chemin de ton cœur à mon cœur. Il y a. Un chemin de parole, écoute. Un chemin de la parole du cœur. Un chemin : de la parole du cœur à la pensée. Un chemin : pour dire l’écoute. Et la pensée. Tout en chantier. La matière d'une écriture en constitution. La périphérie du cœur. Le présent. Le cœur du travail. Les notes d’hier. Bouleversées par le jour présent.

17.11.07. [4] Je veux. Un corps. À vivre. Je vais. Effacer la distance : du jour où je vins à celui qui vient. Crève-moi les yeux. Obéis à mes ordres. Je veux un corps. Pour défaire les injonctions de mort. Et tisser dans le secret des lits. Une image nouvelle. Retour à la route qui descend et les montagnes au-loin vers lesquelles tous nous courons. Quand il a plu, l’image est précise. Dans la chaleur, l’image est brumeuse, et la ligne d’horizon, plus ou moins visible. Je vois. Un espace blanc, en moi. Un trou de mémoire. Néant. Un espace ouvert. Image cramée : jour où je n’étais pas. Jour où je viens. Image cramée du jour où je vois. Image cramée du jour où je te vois. Première fois. Première vue. L’œil : ne supporte pas cette lumière. Et pourtant, c’est elle qu’il voit. Première fois. Dans le feu qui crame l’image. J’écris le monde. Et jusque dans ton corps. Si le feu qui brûle en toi n’éteint rien du mien. Dis-tu. Nourris-moi. Serre-moi. Raconte. Assemble. Réassemble. Il y a : une clé. Qui ouvre une porte. Aussi grande que toi. Tu lui tournes le dos. Vas-y. Retourne-toi. Sors de la maison. Aussi grande que toi. À l’échelle de ton corps. Plus grande que toi. Vas-y. Oui c’est ça. Vas-y.

17.11.07. [5] Esclave. Un seul homme gardien des hommes. Quel est son nom. Paysans, gardiens de la terre. [Paysage.] Écrivains, gardiens du secret. Gardiens du secret, c’est ce que nous sommes tous, à notre insu, écrivant. Dans une ville d’esclaves. Écrivant. Dans une ville de réfugiés, de vaincus. Quelles soumissions nous retiennent ici et nous empêchent. Il me faut : défaire les liens de l’esclave, du réfugié, de la défaite. Et faire le récit de l’heure défaite : qui s’ouvre à l’entrelacement des heures libres. Bonheur.

17.11.07. [6] Est-ce que les femmes sont le peuple. Est-ce que la femme porte le peuple en elle. Je répondrai par mon corps. Est le nom véritable de l’instance majeur. Un soleil. Une jolie petite maison avec des fenêtres par lesquelles voir le monde, et mourir. Les maisons sont bâtis pour qu’on y meurt. Et pour qu’on y meurt ensemble. Une vie commune, éphémère. Une vie silencieuse. Côte à côte. Nos corps. Face à face. Écoute. Écoute. Une tentative de cartographie du désir en vie.

17.11.07. [7] Il a mal dormi. Il se réveille chez ses parents. Il mange avec eux à midi. Il fait une sieste. Il sort. Il marche dans la ville. Il prend un bus. Il appelle Olivier. Il achète au marché Saint-Pierre le nécessaire pour faire les boulettes de viande. Il rejoint Patricia chez elle. Chez eux. Il prépare les boulettes de viande. Il fait une sieste. Il parle au téléphone avec Christian. Il parle au téléphone avec Patrick. Il attend Olivier avec Patricia devant l’immeuble où sa mère a travaillé jusqu’au printemps dernier. Il parle de Noël. Il parle d’être seul. Il évoque les mots du philosophe. Libido. Canalisation par la consommation. Il rejoint Estelle et Christian qui les attendent place des Salins. Une voiture avec Estelle et Christian. Une voiture avec Christine, Patrick, Lubin et Anouk. Une voiture avec Olivier, Patricia et lui. Ils se retrouvent tous devant La petite vitesse, un bar à proximité de chez ses parents. Ils font la surprise à son père de débarquer tous ensemble. Ils sont les enfants de ses parents. Une amie de ses parents les rejoint. Ils sont 12 autour de la table. Ils mangent, ils boivent, ils sont ensemble. Il boit un dernier alcool avec Christian. Ils parlent tous les deux. Dans la nuit. Il aime ce temps.