Notes pour COMMENCER – été 2008

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26.08.08. 11h06. Chambre de la rue de Montmorency. Paris. Temps gris. Impossibilité ce matin d’écrire au présent. Impossibilité ce matin d’affirmer. Savoir, cependant. Avoir cependant ce savoir, ce seul savoir : une force arrive dans le temps de l’écriture. Creuser le temps de l’écriture. Creuser le temps dans l’écriture. Et rehausser la vie. Baisser l’écran. Voir le monde en face. Se tenir face à / ne suffit pas. Ce matin, je suis, mort. Je me souviens, mais sans le souffle. C’est maintenant qu’il faut reprendre vie. Je me souviens de la phrase C’est maintenant qu’il faut reprendre vie, mais elle n’est plus active, plus en moi. Comment. L’activer. Comment. Me réactiver. Comment passer par dessus bord de la mort. Comment passer par dessus le courage qui manque. Comment trouver. Le courage. Comment aller le chercher. Comment passer par dessus l’inconnu du but. Comment définir le mouvement par l’inconnu du but. Comment établir un mouvement vers l’avant : celui d’écrire pour demain. Celui d’écrire aujourd’hui. Pour. Avec. Aujourd’hui. Pour. Pouvoir continuer. Demain. Sans. Sans penser à demain. Je pense à demain = je pense à la mort. La penser par le vie du jour présent. Penser la mort, oui. Penser à la mort, non. Il faut penser, activement. Il me faut. Comprendre. Activement. Le chemin d’hier à aujourd’hui. Il me faut. Trouver. Une vitesse d’exécution : qui fasse coïncider le temps de l’écriture, et le temps de la vie. Il me faut. Trouver. Une forme ferme, et légère.

10.08.08. 22h11. Chantelle. Escalier en pierre devant la maison d’en face. Il y a deux maisons, ici. La maison ancienne, et la maison nouvelle. La maison que nous appelons la maison d’en face est la maison ancienne. Elle est aujourd’hui devenue un immense placard, dans lequel tous les objets anciens s’entassent. La maison nouvelle est l’ancienne grange du temps où ceux qui vivaient ici vivaient dans la maison aujourd’hui ancienne. Nous vivons et dormons aujourd’hui dans la maison où vivaient et dormaient les animaux. Je viens m’asseoir sur l’escalier en pierre. Devant la maison d’en face. L’ancienne. Suis-je venu m’asseoir ici souvent, enfant. Maison d’en face. Enfance. Enfonce. Mon corps. N’en peut plus. De ne pas. Se souvenir. Je suis venu ici, oui, sans doute, souvent, mais sans images qui me reviennent pour l’attester. Un jour, tu n’auras plus besoin de chercher à te souvenir. Un jour ton corps sera vivant de mémoire. Adieu, morts souvenirs.

Le poteau, à ma gauche, sur lequel est inscrit ‘’danger de mort’’ masque une vue ouverte sur les montagnes visibles au loin, là-bas, de jour, et par beau temps. La rue descend, et dans l’axe de la rue : les montagnes et la ville où tu es né. 21 juillet 1968, 3h00. Clermont-Ferrand. 40 ans et quelques jours après, des rires, ici, dans le village. Tu imagines une table, tu imagines quelques amis ou frères et sœurs et parents réunis et heureux. Tu vois une demi-lune dans le ciel. Comment es-tu arrivé ici. Par habitude. Par certitude d’y trouver refuge. Par le mouvement du refuge. Par le mouvement du repli. Perdu sur le territoire et seul point fixe de ta vie : cette maison. Cette maison qui dit la différence entre l’origine (ici) et la naissance [là-bas, au pied de ces montagnes, visibles par temps clair, le jour]. Comment es-tu arrivé ici. Par certitude d’y être accueilli. Par la terreur de ne savoir écrire quoi par ta propre vie. Pourquoi restes-tu ici. Je ne reste pas. Je passe. Je viens me reposer. Je viens cesser de trembler quelques jours de ne savoir par et pour où continuer. Je reconnais cette maison comme le seul point fixe de ma vie. Le seul certain. Origine et refuge. Repos sans vertige. Et demain, tu fais quoi. Demain. Je continue le chemin commencé aujourd’hui. Je continue demain l’impossible remontée aux origines. Le mouvement sans fin. Demain, je me lève au matin et je commence le récit de l’été présent. Été. Présent. Avoir été. Être. Présent. Je n’attends pas. Je commence maintenant. Mes parents sont là. Ils achèvent un tour de promenade dans le village. Mon père vient s’asseoir à mes côtés. Il évoque le souvenir d’être venu ici souvent, venu s’asseoir ici souvent, lorsqu’il faisait chaud. Mais : il fait chaud, aujourd’hui, que parles-tu du temps qu’il a fait. Mon père. Est assis à mes côtés. Moi plongé dans l’écriture de ces mots et pensant au château d’Arçon dont j’ai vu la propriétaire cet après-midi. Je me rêve en descendant de prince. Et je pense aux mains de mon père travaillant la terre. Je pense aux mains de mon père travaillant à l’usine, je pense au travail derrière les machines. Je pense aux machines. Je plonge dans l’écriture. Mon père assis à mes côtés.

28.07.08. Elle a vingt ans. Elle chante. Elle est serveuse vêtue de blanc, robe légère courte sur jambes nues, chemise de nuit, restaurant, un bord de rivière. C’est à Lodève. La robe blanche est courte et quand elle se baisse pour prendre les commandes ses jambes jusqu’aux cuisses et nos regards. Tu pars quand, mon grand, me demande mon père. Tu rentres quand. Tu pars quand, tu rentres où. Elle a vingt ans. Elle s’agenouille à nos côtés. Elle sert les clients. Elle chante. La beauté du chant. Le charme de la voix chantant. Les cuisses haut. La jeunesse du corps. La jeunesse des mouvements du corps. Petit animal fou. Charme de jeunesse. Belle sorcière blanche.

11.08.08. 03h50. Par le réveil dans la nuit. Par le lever. Par le texte à écrire enfin. Par le corps pénétrant le corps. Par la date anniversaire de leur mariage. Par leur mariage. Par le désir de son corps par son corps. Par l’expulsion de mon corps par son corps. Par la sortie du lit. Par la sortie du livre. Par la main qui touche ton corps. Par les mots qui sortent de mon corps et te touchent. Par l’instant où je te vois. Par l’instant où je te veux. Par l’instant où je viens. Par cela que j’ai besoin de creuser au plus profond et vraiment. Par cela que j’ai besoin de laisser venir à moi. Par cela que j’ignore et que j’ai besoin de laisser sortir de moi. Par l’effacement du soucis de ta douleur. Par l’effacement du soucis de ton amour. Parce que. Il est temps. Parce que. Quelque chose est en train de venir. Quelque chose. Qui. Se forme. Quelque chose. Que. Je forme. Je ne sais pour l’heure que l’irrémédiable du mouvement qui est en train d’avoir lieu. Et que j’anime enfin. Et que j’aime enfin. Je sais aussi que les phrases exigent que le corps de la vie soit digne de ce qu’elles formulent et forment pour la vie même. L’épuisement seul saura me faire quitter ce lieu de la phrase. Ce lieu du dire. Ce lieu par lequel et en lequel tu te sens naître, à l’instant, dans le mouvement de la pensée qui cherche une voix pour se dire, un corps pour se vivre. Ma naissance : a lieu maintenant. Et les euphories des phrases dans la nuit je les connais. Et l’éphémère de la révélation je le crains et je crains la rechute et le corps allongé sans désir. Passer de la crainte à la peur. Entrer dans la peur. Et. Demain. Non. Pas demain. Maintenant. Écrire. Ma vie. Par la naissance de chaque instant. Les mots, les phrases, sont trop grands. Le trop grand est le signe qu’ils sont justes. Le trop grand dit qu’ils sont à la hauteur de l’impossible. La seule envisageable pour oser le mouvement.

11.08.08. 04h08. Mon père. Sourire si doux. Sa voix. Récitant le poème. Légende des siècles. Ouvrier. Agricole. Ouvrier. De l’industrie. Siècle à main. Siècle sans corps. Siècle de la disparition des corps. Siècle de l’extermination des corps. Siècle de la renaissance des corps. Maintenant. Un moustique dans la nuit te réveille. Et la mémoire des corps nés et morts jusqu’à ce jour et cet instant où tu écris. La mémoire te réveille. Le trou noir de ta mémoire te réveille. Et son corps dans son corps et la jouissance de son corps dans son corps et ta venue au monde.

11.08.08. 04h12. Elle a vingt ans. Elle chante. Elle chante dans des langues étrangères. Sa voix. La voix. La voie des langues étrangères. Le corps léger qui court de table en table. Les cuisses nues et la pensée qui monte et se glisse jusqu’entre. L’intérieur des cuisses et la langue léchant l’intérieur. La jeunesse d’un corps. Le lendemain, revenant sur le lieu, elle et ses sœurs. Elle, l’unique. Le lendemain, elle, est une autre femme. Robe blanche légère de nuit enfuie. Lunettes noires, short et tee-shirt, elle, et ses sœurs sous le soleil du lendemain, tandis que, elle, et ses sœurs, démontent le décor de la veille. Tiens, c’est pour toi. La sueur des filles sous le soleil à démonter le décor des jours passés à servir et nourrir et séduire les hommes. Je ne reviendrai pas. Je vais maintenant.

28.08.08. 11h45. Que c'est par l'insistance que tu trouveras la voie qui ne se posera plus la question de la voie. Pour ta voix trouvée par l'insistance passant par l'écriture. Par la force qui revient par l'écriture. Par quelque chose qui reprend vie quand tu écris. Par quelque chose de la mort combattue. Par le temps pris pour nommer. Par ce temps par lequel tu reprends vie. Par le mouvement où, faisant, tu peux alors recevoir, et vivre.

11.08.08. 04h20. Je m’assois sur une scène pas encore démonté. C’est au bord de l’eau. C’est à Lodève.

29.07.08. Je m’assois sur une scène pas encore démonté. C’est au bord de l’eau. À Lodève. J’enveloppe dans du papier blanc les phrases par lesquelles je te propose de me dire un secret. Un appel à la nuit des corps. Un appel au silence des mots et à la seule jouissance des corps. Un appel à la seule jouissance des coups. Laisse venir. Laisse venir le coup. Laisse venir. Laisse venir l’émotion. Le coup. De l’émotion. Frappe-moi. Frappe-moi. Je lui laisse mon numéro de téléphone. Je lui laisse mon adresse.

09.08.08. Château d’Arçon. Je laisse mon adresse à la nouvelle propriétaire du château. Je laisse mon numéro de téléphone à l’actuelle propriétaire du château. L’arrière-grand-père de mon arrière-grand-père vivait dans ce château. Je suis né dans ce château. Je suis né à la porte de ce château le 9 août 2008 en marchant vers l’actuelle propriétaire. Je suis né le 9 août 2008 au pied des ruines du Château Rocher, commune de Saint Rémy de Blot. Puy de Dôme. Je suis né à la frontière des départements de l’Allier et du Puy de Dôme ce 9 août 2008. Je suis né dans la Creuse. Quelques jours plus tard. Je suis né au point de rencontre des départements de l’Allier, du Puy de Dôme et de la Creuse un jour du mois d’août de l’année 2008. Je suis né à Chantelle. Je suis né à Clermont-Ferrand.

28.08.08. 12h16. Je suis en train naître à Paris

09.08.08. Je demande à l’actuelle propriétaire du château d’Arçon son numéro de téléphone. Je reviendrai. Je ne reviendrai pas.

29.07.08. Au plaisir. De t’entendre à nouveau chanter. Au plaisir. De t’entendre à nouveau jouir. Au plaisir. D’être le corps de ta jouissance. Au plaisir. Des coups provoquant ta jouissance. Au plaisir du corps. Je marche. Vers là d’où hier soir nous sommes partis sans au revoir. Je ne reviendrai pas. J’écris. Un récit bâti sur les faits. Sur les lieux. Sur ce qui. A eu lieu. Jeune sorcière. Je vois la jeune sorcière en short. Jeune sorcière. Je l’invite à me dire un secret. Ton secret. Ton corps. Donne-moi ton corps. On ne demande pas. On prend. On ne demande pas. L’autre donne. On ne demande pas. L’autre s’ouvre. Quand il sent ton corps ouvert et donnant déjà. C’est donnant donnant. C’est maintenant. Je dis voilà ce dont je t’ai parlé. Hier soir. Hier. Hier. Hier. Elle me souhaite un bon retour. Je reste quelques temps, je suis encore là, je suis déjà parti. Tu n’es pas encore là. Ces choses-là se sentent. Comment es-tu arrivé ici.

11.08.08. 04h34. Chantelle.

29.07.08. Lodève. J’attends 18h00. Je lis Cercle. Quelque chose se passe et passe en moi par la lecture, phrases, pages. Une injonction à être. Une injonction qui n’en peut plus d’attendre. J’attends. 18h00. J’attends que la voiture soit réparée. J’attends que le garagiste ait réparé la voiture. Prolétaire. Ne pas être maître des outils que tu utilises. Prolétaire. Être l’esclave des machines que tu utilises. Prolétaire. Être la proie des machines. Et marcher. Dans la nuit. Sous le ciel étoilé. Douce. Douce nuit d’été. Traverser une forêt obscure. Plaisir de la marche dans la nuit. Avec deux amis. Voiture en panne laissée sur le bord de la route. Nuit étoilée. Un été. Étoiles filantes. La peur du loup dans la forêt. Le désir et la peur. Marcher dans la nuit. Marcher dans la douceur de la nuit. Aimer ce temps.

17.08.09. Plaisir de nager dans le mer. Arzon. Retrouver les sensations d’abandon dans l’élément. La nuit. La mer. En paix en plaisir en chemin dedans. Marcher dans la nuit. Nager dans l’océan. Vouloir aller plus loin. Que ça ne s’arrête pas. Ne pas vouloir rentrer. Être envahi par le plaisir de nager, celui de marcher, l’envie d’aller plus loin, ne jamais s’arrêter, combattre le retour, éprouver la capacité du corps à l’effort combattant le retour. Mouvement de la mer qui t’attire vers le large. Tu reconnais les sensations. Plaisir de nager, océan. Plaisir de marcher, dans la nuit. Seul. Accompagné. Plaisir de la durée. Que ça dure toujours. Ne cesse jamais. Retrouver. L’accès au plaisir perdu. Reconnaître, retour, retrouver. Naître. Tour. Trouver.

28.08.08. 14h19. Paris. Quitter la chambre.

11.08.08. 04h52. Chantelle. La révélation n’est rien. Tenir. Tenir. Rester = continuer d’être. Rester. Réinsuffler de la vie à la révélation et aux conséquences dans lesquels sa venue et l’expérience qui s’en suit nous entraînent. Tu ne dors pas me demande mon père dans la cuisine. Rez-de-chaussée. Maison. Chantelle. Je suis réveillé. Ma réponse. Me réveille. Ne pas. Te rendormir. Ne pas. Laisser tomber. La révélation. Ne plus dormir. Penser : à la survie du corps. À la survie de la vie. Au désir d’un corps. Penser : à l’enfant à naître. Penser : au corps de la femme. Penser : à la jeunesse du désir. Genèse. Penser le lieu de l’expérience. Maintenir en vie le lieu de l’expérience qu’est le corps. Maintenir en vie le lieu de l’expérience qu’est le désir. Pouvoir vivre l’expérience, par un corps, vivant, capable d’accueillir. Pouvoir vivre l’expérience, pour un corps. La rue. Des Picaudelles. Dans la nuit. Neuf lampadaires allumés à la hauteur de la maison. Neuf lampadaires allumés à la hauteur des deux maisons. Neuf lampadaires restés allumés dans la nuit. Nuit de la lumière. Lumière dans la nuit. Comment es-tu arrivé ici.

11.08.08. 05h03. Chantelle. Marcher jusqu’au garage.

29.07.08. Lodève. Marcher le long de la rivière. Rebrousser chemin. Ne pas trouver un pont pour traverser la rivière. Traverser la rivière à pied. Rejoindre le garage. Attendre que le garagiste trouve la pièce. Connaître maintenant le nom de la pièce. Électro-vanne. Trouver la pièce et réparer la voiture.

18.07.08. Aller chez le dentiste. Saint-Pé sur Nivelle. Pays basque. Vacances avec tes parents. Vacances avec tes grands-parents. Saint-Pé sur Nivelle. Août 76. Une rage de dent. Juillet 2008. Une rage de dent la veille d’une lecture publique. Dire un texte en public. Dire ton texte en public. Je te parle. Définir. Ce que qu’il me faut quitter. Nécessité. De connaître ce qu’il me faut. Quitter. Je marche encore sur une terre sans fondation connue. Sortir, ouvrir, en passant par la connaissance. Naître, en passant par la connaissance. Avec.

29.08.08. 14h21. Pas un jour sans écrire. Pas un jour sans revenir si tu veux aller. Comment es-tu. Arrivé ici. Par. Le long chemin de l’argent que jamais je n’ai eu à gagner par un travail rémunéré. Le long chemin de l’argent que j’ai accepté qu’ils me donnent. La confusion entre ce qu’ils nomment amour et l’argent que j’ai accepté qu’ils me donnent. Je suis un prince. J’ai dans mes poches l’argent de mes ancêtres. Mes ancêtres paysans dont j’épuise la race et le trésor de générations de sueur au travail. Pourquoi je reste ici. Parce que nulle part où aller qui m’appelle. Parce que j’attends que tu m’appelles. Parce que je cherche un accès pour ne plus attendre l’appel. Écrire ces mots me donnent l’accès. Écrire ces mots ne me donne pas au-delà de l’écriture de ces mots. Ne me donne pas assez. L’accès n’est pas le bon. L’accès n’est pas encore le bon. N’est pas encore dans le rapport juste au désir de vie. Pas encore. Encore. Juste. Quoi me fera partir d’ici. L’heure d’un départ prévu, demain, 17h30. À quand le départ imprévu. Rendez-vous pour un anniversaire, demain à Nantes, 20h00. Et maintenant tu fais quoi. Je vis l’espoir de trouver la force qui manque pour être : dans celle que je trouve : en écrivant.

11.08.08. 5h08. Chantelle.

29.07.08. Lodève. Changer la pièce ancienne pour une pièce neuve. Rouler vers le Grau du Roi. Aller dans la famille des autres. La mère et ses filles et leurs enfants. L’enfermement du père-mère. Parler. Une bonne fois pour toute. Une fois ne suffit pas. Vouloir te libérer. Par la parole. Que les actes. Soient à la hauteur de la parole qui ouvre. Fréquentation de l’enfermement + honte de cette fréquentation = il ne me fait plus peur elle ne fait plus honte je n’en ai pourtant pas fini ni n’en finirai jamais avec la peur ni avec la honte de ce qui me reste d’eux. Surya. Ne pas attendre leur mort pour ne plus être à eux. Ne pas attendre la mort pour n’appartenir plus à personne. Libération. Ne pas attendre. L’amour. Appartenir à. Fidélité de bêtes. Surya. Reconnaître l’amour à la fidélité de bête que tu es prêt à vivre. Non. Différence entre l’être prêt et le vivre. Reconnaître, l’amour : à l’exclusive pensée pour l’autre débordant ton être. Ne pas avoir connu l’amour. L’accès que je cherche, écrivant, est un accès à l’amour.

03.08.08. Rochefort du Gard. Odile rentre du marché. Elle étend le linge. Elle part en vacances demain. Avec Amaïa peut-être. Sa fille. Tanguy arrive tout à l’heure. Et je jette, au fur et à mesure que je les écris, je jette les traces du passé, au fur et à mesure qu’au présent j’écris les nouvelles traces en rendant compte, et prenant leur place. Cher père. Je t’écris les nouvelles d’un pays où tant de guerres jamais menées ont bien failli m’être fatales. Cher père. Je te donne des nouvelles du pays où depuis aujourd’hui je vis. Où depuis aujourd’hui je suis en vie. Je t’écris depuis la chambre, à l’étage. Tu dors en bas avec celle ma mère corps de ta jouissance il y a quarante ans cela seul est certain. Je vous écris. Je ne cesse de vous écrire. Je ne cesse de multiplier les autres pour ne plus vous écrire. J’ouvre un passage où seul, je cesse de vous écrire. Maintenant. J’écris. Ce qui vient. Ce qui s’enroule à moi par ce qui vient. Ce à quoi je m’abandonne en ce qui vient. L’écrivant.

‘’Une sensation, si c’est une sensation, vous déchire la trachée artère’’ (101)

‘’Aucun geste, si c’est un geste, n’a de limite. Jamais aucun geste ne s’arrête : si un geste s’arrête, c’est parce que celui qui l’effectue s’épuise dans ce geste ; mais le geste, jamais il ne s’épuise : un geste, si c’est un geste, continue, invisible, sa vie, jusqu’au moment où un corps, à nouveau désireux de ce geste, le reprendra, et dans la courbe de ce geste, à son tour existera.’’ (109-110)

Le geste : la vie même.

‘’[…] c’est exactement ça que je cherche avec des phrases, ce mouvement-là, un mouvement si violent qu’il en devient pudique, une saturation de couleurs vives, une beauté calme qui se dessine à travers les lignes : le mouvement de la déesse, lorsqu’elle sort des eaux, une sorte de naissance, quelque chose qui s’arrache au désir et en relance la mise : c’est ce geste, précisément ce geste que je cherche avec des phrases.’’ (117)

Chaque jour le geste. Chaque instant la phrase. L’enchaînement des gestes, des phrases. Le récit de ta vie. L’écriture de ta vie.

Pensées vers Gwenaëlle. Une lettre que lui j’écris, alors. Comment es-tu arrivé ici. Par la pensée. Par le lien secret entre amour et pensée.

12.08.08. 13h51. Chantelle. Ça ne tient pas. Quelque chose ne tient pas. Sans cesse : devoir revenir. Aucun acquis si nul retour. Ranger tes affaires. Plier le camp. Lever le camp. Être prêt pour le départ. Avoir assez de temps devant toi. Comment sortir de ce temps. Comment sortir de la peur. Du temps. Ne pas sortir de la peur. La regarder, et la défaire. Et là sortir du temps. Comment jouir dans cette peur, hors du temps, et dedans. Vivre dedans, vivre en dehors, et y jouir. Avoir le temps ouvert devant toi. Avoir le temps ouvert dedans toi. Comment accéder à cette ouverture du temps à chaque instant. Donner les réponse. Vivre les mots d’ordre. Annuler les ordres. Une campagne. Un lieu d’origine. Une guerre à mener. Comment suis-je arrivé ici. Par l’insistance. La ténacité. Le désir des deux autres. L’accouplement de leurs corps. La jouissance du sien dans le sien. Pourquoi je reste ici. Je ne reste pas, je reviens. Je ne reviendrai pas. Je reviens sans cesse. Je reste pour écrire ces mots, au présent de la pensée, au présent de la sensation. Je reviens sur les mots anciens et je les fais miens. J’écris les mots anciens à venir et je les livre pour que d’autres à leur tour viennent et les fasse leur. Je t’écris. Tu es en train de me lire. Je suis en train de pénétrer ta langue, ton corps. Je ne fais que passer. Je veux rester. J’ignore les conditions de ton accueil. J’ignore ce que je veux de toi. Je ne veux rien de toi. Je veux pouvoir continuer à parler. Je veux effacer la présence du livre, et me tenir face à toi, et te parler, et me tenir en toi, et, jouir de cette présence, en toi qui par l’écoute me pénètre : en même temps. Je veux : ce même temps. Je le veux à chaque instant de ma vie. Je n’ai pas accès encore : à la connaissance : de l’impossible : de ce désir. Je n’ai pas accès encore : au savoir de l’éphémère : la réalisation de ce désir. Je reste quelques minutes encore. Je note les noms des ancêtres. Leurs dates de naissances. Leurs dates de mort. Je pense à la jouissance et à son éphémère. Je reste face à toi, dans toi. Je reste en toi le temps nécessaire pour comprendre que ce ne sont pas les dates qui importent, mais les lieux. Le lieu de notre commune présence. Le lieu de la distance. Je reste avec les noms des ancêtres encore quelques minutes en toi pour comprendre que c’est le métier de chacun et l’état d’asservissement de chacun qui conditionne la violence des coups, en toi, corps de ma jouissance. Illettré, propriétaire, cultivateur, domestique. Je reste quelques minutes encore en toi. Je prends le temps d’écrire ces mots. En toi. Ces mots que tu lis et par lesquels je quitte le néant et les larmes. Écrire : m’aide à être. Écrire : est ce par quoi j’accède à la vie, ce par quoi j’éprouve le sentiment de l’existence, ce par quoi je peux me lever, ouvrir la porte et aller marcher. Dehors. Chantelle. Présence des deux autres. Père mère. Écrire le mot parents m’arrache la bouche. Conscience qu’ici, Chantelle, tout est tourné vers le passé. Je reviendrai, pour tout retourner, pour tourner tout : à la face du présent. Je reviendrai, encore, et encore, ici, pour continuer de creuser dans ces fondations qui sont les miennes et dont j’ignore encore le secret. Sachant que lorsqu’ici je creuse, ce sont les tombes et ceux d’avant que je déterre. Et, si je fais chemin vers une mort, c’est vers la mienne et vers devant qu’il me faut creuser : en même temps. Et. Maintenant. Je mets les affaires dans le sac et je ferme les volets de la chambre à l’étage et au rez-de-chaussée je laisse l’arbre généalogique sur la table de la salle à manger, où, jadis, se tenait la chambre dans laquelle je dormais avec mon grand-père. Fantasme de viol. Ta mère t’a violé. Le père de ta mère t’a violé. Toute ta famille t’a violé, un par un, membre à membre ton corps leur appartient. Et que tu restes ou que tu partes ton corps est à eux : tant que tu n’écris pas ton histoire, tant que n’écris pas son histoire : l’histoire de ton corps. Il te faut défaire la possession. Écrire : pour défaire la possession, et accéder enfin à l’amour.

12.08.08. 19h35. Moutiers d’Ahun. Même si seulement quelques minutes, écrire. Écrire, chaque instant. Écrire, à chaque instant.

24.07.09. Le temps ne manque pas. Il est là. Il est là tout le temps. C’est le seul : à être là : tout le temps. Il fut là de tout temps, et il est là pour toujours. Il n’y a rien d’autre qui puisse prétendre à une telle éternité. Rien. Absolument rien. Sinon le rien, peut-être. Temps et rien.

12.08.08. Le temps ne manque. Le temps qui manque est un masque. Le manque est ailleurs. Rien ne manque. Toi qui n’a jamais manqué. Parle. De quoi as-tu manqué. Rien ne manque. Toi à qui toujours on a donné. Tu es celui qui crée le manque. Vas-y, maintenant, donne. Comment es-tu arrivé là. Par la route. Par une enfermement à défaire : celui de ne pas être d’ici et d’être venu d’ailleurs. Par la route reliant Chantelle village origine au département de la Creuse origine autre. Et creuse, le verbe, tout à l’heure écrit sans entendre le territoire voisin. Creuse. Tombe. Territoire voisin. Tombes inquantifiables qui fondent l’or. Territoire où se fond l’or de ton origine. Fonte. Rue de la Font-Neuve. Sillon de ta marche, au présent. La Marche : province ancienne de laquelle est issue le département de la Creuse. Pourquoi je reste ici. Je viens d’arriver. Je commence à peine. À peine arrivé je pense à revenir. Et pensant cela je menace la possibilité de vivre. Cette seule guerre à mener : vivre.

12.08.08. 19h46. Moutiers d’Ahun. Les tables où tu écris. Celle-ci, présente. Quoi t’en fera partir. Un rendez-vous. Un rendez-vous avec d’autres. La nécessité de marcher dehors sans but défini. L’intervalle de temps non défini entre l’instant où tu sors de chez toi et l’instant de ta mort. Avoir des rendez-vous. Manger avec d’autres. Ne pas avoir de rendez-vous. Vivre le temps ouvert. Travailler avec d’autres. Changer de lieu. Creuse. Morbihan. Arzon. Dans quatre jours. Creuse. Moutiers d’Ahun. L’envie de rester là. L’envie de rester le plus longtemps possible. Les tables de travail. Étables. Les tables éphémères de l’été. Étable. Grange. Petit Jésus. Romiguières. Dans les causses. Au-dessus de Lodève. Être là dehors, à droite de la maison dans la rue en pente et les mouches sur la table et dans l’air partout, la colère, les Erinyes. L’eau sucrée pour attirer les mouches. Pour faire taire la colère. Une langue sucrée pour faire taire la colère. Une langue, aiguisée, pointue, pour dire. La pointe de la parole. Les rubans adhésives. Le massacre des mouches. L’odeur de la grange. Romiguières. L’odeur de la ferme. Aubepierre, dans la Creuse. Ici Moutiers d’Ahun. Une carte de la Creuse, ici dans la chambre à Moutiers d’Ahun. Aller vérifier sur place. L’idée du voyage. Aller vérifier quelle hypothèse. Romiguières. Les mouches. La table. Commencer à l’ombre de la maison. Le mouvement du soleil. Continuer dans sa lumière, dans sa chaleur. La table au soleil. Le déplacement du corps au fur et à mesure du déplacement du soleil. Le soleil peut venir à disparaître. Pas le temps. La nudité du corps au soleil. Sur un rocher. Dans le fond de la vallée. Fond de gorges. Seul, seul. Nature. Les arbres. Les plantes, les animaux. Nous les hommes. Cette terre. Appartenir : à cette terre. Ne pas appartenir. Ne pas te sentir. Appartenir. Les animaux : appartiennent : à cette terre. Et nous les hommes. Appartenance première. Société. Pas la terre. Origine perdue. Émotion. Rareté de l’émotion. Accès à l’origine. Te sentir, appartenir : à la terre. Un seul monde. Les plantes, les arbres, les animaux.

23.08.08. Quibéran. Morbihan. Les oiseaux posés à la surface de l’étang. Le son des oiseaux décollant à l’écoute de ta venue.

09.08.08. Chantelle. Le son de l’air chaud qui tient gonflés les ballons des montgolfières. L’immensité du ciel. Le point de contact : entre le ciel et la terre. À qui : du ciel ou de la terre : appartient ce point. Est-ce un point du ciel ou est-ce un point de la terre. Penser : à une matière autre : qui ne soit ni du ciel, ni de la terre. Penser : au point de contact, entre deux corps. C’est un point du temps. Le voyage. Aller : non vérifier, mais découvrir la consistance de cette matière. L’or du temps. Le soleil. La recherche de l’ombre. Le soleil. La recherche de l’origine. Les yeux cramés. Le papillon qui se brûle les ailes pour connaître la flamme. Le désir. La recherche. De la chaleur. Sueur. Sensation brûlante du soleil sur le corps. Connaître certaines conséquences liées à l’exposition d’un corps au soleil. Vouloir connaître certaines sensations d’un corps exposé au soleil. Vouloir connaître la sensation du corps exposé au radiation d’un autre corps. [Remplacer ‘‘désirer’’ par ‘‘vouloir connaître’’.] Et le lézard qui passe sous le banc. Le partage de l’espace avec les animaux. Le partage de l’espace et du temps avec les autres, femmes et hommes. Avec les animaux, partage de l’espace. Avec femmes et hommes, partage du temps. Conscience du temps commun. Conscience de l’espace commun. Le temps, comme lieu du partage quand l’espace serait le lieu du commun. Le partage : éternel. Le commun : quotidien. Notre commun temps compté. Par les lieux où nous le vivons, ensemble. La communauté de la conscience de notre temps compté, au sein d’une même espèce.

29.07.08. Montpellier. Place du Scel. Rendez-vous avec Patrice. Est-ce la bonne place. Est-ce le bon endroit. Est-ce que je me suis trompé d’endroit. Est-ce que j’oublie quelqu’un. Le lieu. Du rendez-vous. L’heure. Du rendez-vous.

12.08.09. L’arrivée à Moutiers d’Ahun. Le rendez-vous est à quelle heure. Viendront-ils me chercher. Savent-ils que je suis là. Me laissent-ils tranquille. Je vais voir. Je vois. Je vais. Je vis l’entrelacement des temps. Par la succession des lieux où l’écriture se décide.

29.08.08. 16h17. Paris. L’entrelacement des temps. Par la succession des lieux. Où l’écriture se dessine. Où l’écriture se précise sans le soucis de savoir vers quoi elle va. Ne se souciant pas de discerner vers quoi ni vers où elle va, mais de discerner ce qu’elle comprend, au fur et à mesure qu’elle s’écrit, qu’elle interroge, qu’elle répond, se répandant, aspirant à se libérer de ce qu’elle comprend, aspirant à dépasser ce qu’elle comprend. Voilà. La table où tu écris. Voilà. Les tables où tu écris. As écrit. Les lieux où tu vis. Les lieux où tu as vécu. Les lieux de toi. Les lieux d’avant toi. Et ceux qui viennent. Le lieu. Le lieu présent du temps de ces mots. Et la distance de toi à moi. Et le temps présent de ta lecture. Le lieu présent de ta lecture. Baisser l’écran. Quitter la chambre. Penser à la chambre des amants. Penser à la chambre de l’écriture. Une île dans le monde hors du monde. La communauté inavouable. Baisser l’écran. Prendre une douche. Sortir, fort du temps passé à écrire. Pas encore assez.

01.09.08. 12h37. Nantes. L’infini de la tâche. Comment suis-je arrivé ici. Par la fuite. Il y a quatre ans. Par l’au secours. Nulle part alors où décider l’ancrage et la nécessité prise d’arrêter la fuite et me poser, un temps, ici, pour cesser la fuite. Aujourd’hui. Par les murs qui ne sont pas les miens, et à l’intérieur desquels sont installés objets et meubles qui m’appartiennent. Une table sur laquelle j’écris. Une ville où j’ai rencontré quelques hommes et femmes avec qui je continue. Je reviens. Ici. Je reste. Ici. Nulle débordement d’amour ne m’aspire ailleurs. J’ai commencé, ici. À sortir. J’ai commencé, ici. À former mon nouveau corps. Dans le monde. À son contact. J’ai rencontré. Ici. Certaines femmes et certains hommes. Avec, eux, je continue. Continuer sans savoir quoi se donne. Mon départ sera le récit de mon accès à l’amour. Mon récit sera la relation d’une enquête en passant par la distinction enfin bien entendue entre amour, désir, passion et pulsion. Et maintenant tu fais quoi. Maintenant. Jeu continu.

13.08.08. Moutiers d’Ahun. Matin très tôt. Encore la nuit. Par la nécessité d’une certaine fatigue. Par le souvenir à venir du déplacement des objets et des meubles dans la salle afin de faire sien le lieu. Très tôt le matin. Par l’immensité d’un banc que je déplace d’un côté à l’autre de la table. Par le banc long, comme trois fois la longueur de mon corps. Ne pas. Faire de bruit. Dans le petit matin. Ne pas. Réveiller ceux qui dorment. Le mouvement. Dans l’attention à ce que le banc long et lourd ne cogne aucune surface avant celle du sol de l’autre côté de la table. Penser à refaire ce mouvement en disant le texte. Ce texte. Ce texte là en train de s’écrire. Ce texte là que je suis en train d’écrire. Ma vie que je suis en train d’écrire. Le mouvement du corps disant le texte : ce seul mouvement : l’installation dans le lieu. La seule action : son arrivée et son installation dans le lieu. Il arrive avec son sac. Il vide son sac. Les objets dans son sac renvoient à des éléments du récit. Certains oui, d’autres non. Il déplace les objets. Il déplace les meubles. À la fin du texte, il quitte le lieu. À la fin du texte, il accueille ceux qui viennent. Il est assis à la table. Table longue. Voir la pièce à partir de cette place. Et la vue, en tournant la tête à droite. La vue par la fenêtre. C’est encore la nuit. Le noir par la fenêtre. Le déplacement du banc, et maintenant, à la place du banc, une chaise. Il est assis sur la chaise. Une chaise pour le cul d’un corps. Un banc, pour combien de corps. Porter les corps en pensée sur le banc quand tu portes le banc. Porter les corps en pensée sur le banc quand tu déplaces le banc. Déplacer les corps en pensée. Les corps de qui. Les corps de ceux, qu’il ne faut pas réveiller. Les corps de ceux, qui dorment. Les corps des morts, qui, si tu les réveilles, ne sont pas prêts d’arrêter de. T’empêcher de. Dormir. Les corps des vivants, qui, si tu les réveilles, ne sont pas prêts d’arrêter. De t’empêcher de. Dormir. Ton corps. Ton propre corps, mort. Ton corps. Ton propre corps, vivant. Une chaise, seule, sur laquelle, assis, écrire ces mots que maintenant tu lis. Ne pas faire de bruit dans la nuit. Une petite lumière en bout de table. Une lumière vive en bout de table, lumière vivement réfléchie par la blancheur du drap qui recouvre le bout de la table sur laquelle tu écris, sur laquelle je t’écris. Par la nuit. Avec le grincement du parquet à l’étage au-dessus. Deux corps dans une chambre, à l’étage au-dessus. L’un des deux corps se lève et marche dans la nuit, fait grincer le parquet, descendra, descendra pas, se recouche, j’imagine. Apprendre le texte. Être habité par le texte. Réinvestir le texte. Réinventer le texte. Comme on réinvestit un lieu. Comme on réinvente un lieu. Comme on invente un lieu. Pas comme. Vraiment. Le temps de la lecture est le temps de l’invention d’un lieu. La danseuse envoie son geste dans l’air afin de trouver des espaces qui, avant ce geste, n’existait pas. Avec ses gestes, elle invente des espaces ; et avec ces espaces, elle invente le corps qui les découvre. Le corps : traversé par cette expérience. Le corps traversé par l’expérience du temps présent et de sa tentative de restitution. La tentative de restitution du ressenti du temps présent. La tentative de restitution comme un acte de création première. Je ne restitue pas. J’écris. La tentative de restitution d’un temps. Le tien. Le tien présent. Tandis que tu lis. J’écris. Tandis que tu entends celle ou celui qui lit. J’écris. Celle ou celui qui te lit. J’écris. Celle ou celui qui, lisant le récit d’un temps, lit qui tu es maintenant que tu l’entends. Avec en pensée toutes les tables. Moutiers d’Ahun. 5h03. Toutes les tables de travail. Tables des repas. Tables des écoles. Tables d’amour. Tabler sur l’amour. L’amour, comme la poésie, s’écrit dans un lit. Foutaises. Garage. Établi du grand-père, immense, massif. Et le tien miniature dans le placard qu’est devenue la vieille cuisine de la maison d’en face – enfance -, maison aux volets verts aujourd’hui repeints en blanc. Garage avec traces au crayon sur le mur : chaque année, un peu plus grand. Chaque jour, être un peu plus grand. Et l’usine. L’usine où travaille le père. L’usine. Ce lieu fermé où nul regard extérieur. Comme une autre chambre d’un autre désir. Lieu secret du travail. Avec. Les mouches de Romigières. Avec. La colère des morts qui te réveillent. Avec. La colère des morts que tu réveilles. Avec. Celle des vivants que tu empêches. De dormir. Avec. Ta voix muette sans voie pour dire ta colère. Avec les mouches de la Creuse. Avec les mouches d’Aubepierre. Avec la voiture que tu gares à Montpellier dans la rue du magasin du père de Nathalie. Avec sept années de ta vie qui s’ouvre dans la possibilité du récit. Avec la déchirure entre le récit du temps passé et les flux d’images ou de pensées qui surgissent au présent de l’écriture. Au présent de ton corps. Pariant que la masse-matière du texte présent qui s’écrit ouvre les possibles des récits, et que l’impossibilité de saisir tout est au cœur du mouvement : est la force du mouvement, celui qui jamais ne s’arrête. Avec. La silhouette du père de Nathalie devant le magasin à Montpellier. Avec. L’image de la silhouette du père de Nathalie devant le magasin. Avec le Liban. Avec les populations déplacés. Fracas. Avec le banc dans le silence de la nuit, et, en pensée avec lui les corps déplacés. Avec la maison, dans les Pyrénées. Avec le projet de retourner dans tous les lieux où tu as vécu, et d’y écrire au présent du jour la nouvelle écriture. Avec le projet d’épuiser par la marche toutes les rues de la ville où tu vis, et de quitter la ville ensuite. Avec le projet de ne marcher que dans l’inconnu. Être. Convoqué. Me. Convoquer. Dans les lieux du passé. Me. Convoquer dans les lieux de l’inconnu. Me. Tenir face : à qui je fus. Me tenir. Avec qui je fus. Face à toi, aujourd’hui. Et, sur le banc, les corps en pensée sont les je fus. [Refuge. Exil. Corps déplacés.] Et la chaise je dis que la chaise est le lieu du je suis. Le passage de mon corps. La présence passé. L’écriture au présent. Avec les clients du magasin. Avec les clients du restaurant. Avec les clients que tu appelles mes amis. Le charme. L’argent comme un lien. Le chèque d’anniversaire. Chaque année. Le chèque à chaque anniversaire. J’achète le silence de l’impossible désir su. Un amour contre un attachement. Les clients du magasin. Les vivants et les morts. Aujourd’hui. Vivant par celui qui se souvient. Mon corps de souvenirs contre mon corps de mémoire. La traversée des souvenirs. La naissance d’une mémoire. La traversée du néant. La traversée de mon corps pour l’accès à la mémoire. Le corps de l’acteur. L’incarnation du souvenir. L’action : est de traverser le corps. Le corps de la mémoire traversant le corps du récit que serait le plateau. Le lieu du récit [le monde] que serait le plateau. Et les itinéraires que tu retrouves sur des papiers que tu as gardés. Et le temps passé au téléphone : tu écris ce que tu entends des mots par lesquels l’autre t’indique l’itinéraire. Les images que tu te formes : avant de voir le lieu. Avant d’être dans le lieu. Le lieu. La vitesse de la parole, contre la vitesse de l’écriture. Je ne vais pas y arriver. Un seul corps : ne sera pas assez puissant pour tout noter, pour tout écrire, pour tout dire. Le mouvement. Le mouvement saura dire le tout. Tu écris tellement vite, tu peines à te relire. N’essaie pas te relire. Tu es sur le chemin.

23.07.08. Tu rejoins la maison où tu retrouves Isabelle et Laurent. Tu es avec Isabelle dans une chambre et tu lis un texte, elle enregistre la lecture, et tandis que tu lis, et tandis qu’elle t’enregistre, le jour passe à la nuit, les grillons commencent à chanter. Et.

13.08.08. Tandis que tu écris ces mots. La nuit passe au jour et à ta droite par la fenêtre bientôt le paysage sort du noir.

24.07.08. Tu es sur la route. Tu rejoins la maison de Romiguières. Tu trouves la clé dans le mur derrière la pierre. Alors tu n’as pas eu de mal à trouver ? Comment ne pas trouver. Avec un nom. Avec une carte. Comment es-tu arrivé. Ici. Avec un nom. Avec une carte. La première fois. Ensuite : avec le souvenir de la première fois. Ah mais dis donc ça a changé depuis la dernière fois. Tu n’es jamais venu ici. Le changement. Est un mot du passé. Il masque mal le désir de conservation. L’événement seul donne de la vie.

28.07.08. Lodève. Environ midi. Le nom de Moutiers d‘Ahun prononcé en terrasse. Ici à Lodève. Le jeune homme derrière Perrine et Olivier qui se retourne : Moutiers d’Ahun vous dites ? Y a-t-il vécu ? Y est-il né ? Je ne me souviens pas. Je ne me souviens que du mouvement de cet inconnu. Je me souviens qu’un nom que nous disons – le nom du village, Moutiers d‘Ahun - l’arrête, et le retourne. Et voilà son visage vers nous. Il nous parle. Et je n’entends plus.

29.07.08. Montpellier. 17h00. Rendez-vous avec Patrice. Place Sainte-Anne. Et dans le carnet : des prénoms écrits. Une centaine de prénoms. Celles et ceux à qui je veux proposer de participer à la revue.

13.08.08. L’impossibilité d’être en vacances. La pensée accrochée au corps. Agrippée à lui. La nécessité de. La vacance. Se mettre en vacance. Un travail. Pas un mouvement naturel. La pensée accrochée au corps. Arrêter la pensée. La vacance de la mise en œuvre. Dans le réel. Le temps du projet. Une vie en vacance. Jamais en vacance. Une vie vacante. Et les deux feux arrière de la voiture dans la nuit qui s’éloignent et disparaissent dans le virage, là-bas, par delà la vitre, par delà la fenêtre à ma droite. L’envie de faire une lecture de ce texte à l’endroit même où je l’écris. Le faire. Aujourd’hui. Avec vous. Je lève la tête. Je tends le bras. Je montre la fenêtre. Là. C’était là. 13 août 2008. 05h48. C’est maintenant. Moutiers d’Ahun. 06h19. Les phares avant d’une voiture. Le blanc des phares avant d’une voiture, par la fenêtre à ma droite, et le café en train de se faire dans la cuisine. Le son de l’eau. Le son du crachat de l’eau par la machine électrique. La joie du jour qui se lève. Le ciel qui blanchit. La joie de voir le jour se lever. La fatigue. Le corps énervé. Le plaisir d’un corps éveillé.

13.08.08. 06h27. Moutiers d’Ahun. Le temps du projet. Le temps de la mise en œuvre dans. Le réel. Le temps de l’entrée dans. Non. Pas d‘entrée. Tu y es. Le temps de la réalisation. Le temps de la conscience de. Ta présence. Le temps de l’action consécutive au temps de la conscience. La sortie de l’inconscience. Ce n’est pas une entrée. C’est une sortie. Une ouverture. Une action. Le temps du projet. Le temps de l’action. Quitter le temps du fantasme et de la projection sans support pour la recevoir. Quitter le temps du possible infini sans réalisation jamais, le temps de la disponibilité mais sans passage à l’acte. Ouvrir à la disponibilité et à passer à l’acte. T’ouvrir à l’attente qui n’attend pas. Le réel : comme espace et temps jamais vacant. La vacance : ne vient pas du réel, mais de toi. Le réel est le jamais vacant. La vacance n’est pas un état naturel. Le réel n’est pas le naturel. La vacance est le fruit d’un travail. Sentir l’être, avant d’envisager la vacance : la disponibilité, l’abandon au réel même, lui jamais vacant, lui le jamais vacant. Écrire. Pour la naissance. Écrire. À l’occasion de. La naissance. Du réel. Écrire. Le réel n’a pas de naissance. Il est. Écrire: dit du réel, et le modifie. Écrire. À l’occasion de. La naissance. D’un enfant. Une naissance. Modifie le réel. Écrire. Une phrase. Comme on donne naissance. Écrire : l’incessante réapprobation. Donnée à la vie. Écrire. À l’occasion de. L’incessante naissance. Au réel. Chaque naissance. Enfant. Phrase. Geste. Modifie le réel.

‘’La jouissance est de nature poétique, c’est le secret de l’Odyssée’’ (120)

01.09.08. 15h46. Nantes. Cette pensée. La femme de l’autre. Ce désir pour. La femme de l’autre. J’ai violé ma mère. Est-ce que ça existe. Dans ce sens-là. Est-ce qu’une mère violée par son enfant a jamais porté plainte. Est-ce qu’une mère violée par son enfant pousse une plainte qui dit non. Désirer la femme de l’autre. Désirer ce que l’autre possède. Démon de la possession. Du désir de posséder. Littérature et alcool. Écriture dans la nuit. Quand tous les autres dorment. Quand le monde dort. Pourquoi avez-vous besoin de boire, demande Olivier. Parce que le vertige nous manque. Cinq mouches sur la table sur laquelle j’écris. Le vertige nous manque. L’apparition des mouches avec la venue du jour. Le vertige. L’apparition de la colère. Avec le jour. Notre colère est celle qui dit le vertige nous manque. Et nous sommes responsables de ce manque. Avec la venue du jour. Le vertige nous manque. Nous sommes responsables de ce qui nous manque. Notre colère est le mouvement de notre corps à qui manque la vie et qui veut vivre. J’écris pour que le vertige me prenne en plein jour. Et que ma colère en meurt.

13.08.08. 06h38. Patrick. Un éditeur. Un comédien. Un contrebassiste. La femme du contrebassiste. La femme du comédien. Leurs enfants. L’inconnu de la vie de l’éditeur. Les livres. L’alcool. La nuit. Une traversée sans sommeil. Le lit trop étroit et trop dur. Le lit où tu dors seul. Le carnet et les feuilles sur lesquelles subsistent quelques traces d’une improvisation avec trois musiciens.

24.07.08. Lodève. Les mots tu, tout, en, si, lent, silence. La marche dans les rues de Lodève et entendre le son d’un trombone et te laisser attirer par le son. Détourner la marche de son but premier et marcher vers le son et découvrir trois musiciens, en reconnaître un. Sébastien. La surprise. Sébastien. La belle surprise. M’arrêter. M’asseoir. Les écouter. Les regarder. Me laisser prendre par l’improvisation. Écrire avec eux. Être avec eux. Finir à quatre. L’écriture, muette présence en train d’écrire avec eux trois, écrivant maintenant tous les quatre. De un dehors écoutant regardant les trois, à deux dos à dos et maintenant quatre. Ensemble. Tout. Et un. Tu. Toi. Un improvisateur qui veut garder des traces.

08.09.08. 10h33. Nantes. Terrasse du café de l’île. Un écran, des lunettes de soleil, un clavier. Le soleil. La voiture chez le garagiste. Une femme enceinte vêtue de blanc. Une femme qui éternue. Une femme que je regarde. Une femme qui dit pardon. Les habitués du bar qui se retrouvent, autour d’une table. Comment. Le soleil. La trinité père fils esprit. Esprit = esprit. Fils = corps incarnation. Père = parole puissance. Pourquoi restes-tu ici. Je suis venu. J’ai voulu du plaisir je veux qu’il vienne. L’inattendu ne vient pas. Je pars. Je veux un lieu tranquille et connu, pour avancer dans la question qui me demande du calme, pour la réponse. Je veux un lieu bouleversé par la réponse. Un corps et un lieu bouleversés par l’événement, pas par la réponse. En terrasse, le soleil. Le feu du soleil et son pouvoir contre le travail des hommes. Le feu du soleil ou son absence. Brûle. Gèle. Caresse. Réchauffe. La terre. LE corps. Je suis sur la terre pour être sur la terre. Pas pour travailler. Pas. Pour. La travaillé. Je suis l’esprit. Je suis la parole. Je suis le corps. Je suis dans un champ le corps marchant aux côtés de celui de mon père labourant la terre. Pour la réconciliation est d’abord nécessaire la séparation. Stephen mon frère en dédale. Je ferme l’ordinateur. Je ferme les yeux. Je tourne mon visage vers le soleil. Les mots, dans la tête. Derrière l’écran. Dans la machine. Mon corps. Visible. Exposé. Caché. Révélé. Ma présence. J’apparais. J’imprime. Une affiche. Sur les murs de la ville. Une parole qui libère. Les hommes. Je rentre chez moi. Je travaille J’éteins l’ordinateur. Manger. Dormir. Me reposer. Lire quelques pages. Sortir de la page. Marcher sur la terre. Soleil.

02.09.08. 03h45. Nantes. Reprendre. Continuer. L’écart de sens entre les deux verbes. Une décision prise qui fraye son chemin de semaine en semaine : ne plus penser avec mon père mais avec les quatre questions comment pourquoi quoi maintenant. Penser avec mon père et les quatre questions. Poser un début. Poser une fondation. Quatre questions et mon père. Les quatre questions et leurs mouvements vers en avant qui ouvrent. Mon père qui fonde. Fondation. Fonte. Font-neuve. Faire chauffer le métal. Ferrer les chevaux. Arriver. Dans un nouveau lieu. À cheval. À pieds. Arriver. Par la force. Arriver. Ce matin. 03h55. Par l’insomnie. Par la nécessité de, venir chaque jour, afin de pouvoir continuer à. Vivre. Rester. Avoir goût à faire ce que tu fais. Plus besoin d’aller ailleurs pour continuer. Faire : est le nom du lieu où je suis. Où que je sois. L’autre : est le nom qui met en mouvement. Partir. Aller vers l’autre. Le rejoindre. Pour faire : le nom d’un nouveau lieu où. Être. Travailler avec. Rencontrer de nouveaux. Être. Aller à la rencontre. Les amis. Les nouveaux amis. Parler du travail. Défaire le travail. Défaire les objets intermédiaires que nous mettons entre corps. Non. Vivre avec, et sans ces objets. Avec eux. Sans eux. La parole est un objet. Par lequel nos corps transitent. Il n’est pas nécessaire à nos corps de défaire l’objet parole pour qu’ils puissent entrer en contact. Un jeu entre nos corps. Un travail sans entrave. Un travail dans le jeu du mouvement incessant. L’amour. Penser le désir comme l’articulation entre travail jeu mouvement incessant et amour. Quel est ce mot. Penser le désir comme le nom d’un lieu : qui travaille jeu mouvement incessant (avec) la possibilité de l’amour. Et maintenant, je fais confiance. En ce qui vient. De toi. Je laisse chaque mouvement de toi se déposer, où qu’il se dépose. J’ajoute : voyager est le chemin pour trouver ce lieu. Pour vérifier l’hypothèse de l’existence de ce lieu. Ce lieu ne s’annonce pas comme un territoire fixe. Ce lieu est un temps. Le temps du mouvement qui ne meurt pas. Le territoire fixe de ce lieu est le territoire d’une mort. J’avance. Je glane des indices. J’écris. Tu me lis.

13.08.08. 16h57. Moutiers d’Ahun. Parce que la voix d’un autre résonne en toi et réveille en toi le désir de parler par ta voix. Par la nécessité de l’attente. Parce que le véhicule principal qui te permet de traverser l’espace quand bien même tu ne sais plus où aller et que tu n’as pas encore eu accès au seul désir d’aller sans le soucis de l’où aller est immobilisé. Tu restes une année de plus dans cette ville. Tu restes une nuit de plus dans cette ville. Parce que le véhicule est immobilisé et que tu ne maîtrises pas l’art de le réparer. Parce qu’un autre va le faire pour toi et qu’il ne pourra le faire que demain. Tu restes une journée encore dans cette ville. Dans ce village tu restes une journée encore car la maison est accueillante. Car des amis y vivent et tu as du plaisir à partager du temps avec eux. Tu restes une journée encore ici. Tu continues de poser l’écriture comme le mouvement par lequel : tout : se réunit. Aujourd’hui te suffit. Dans la ville tu restes une journée de plus, sans désir autre de rester que celui de retrouver le moyen [ici technique, mécanique même] d’en partir. Retrouver le moyen de partir. Et rejoindre une maison et l’accueil des amis : tu n’as pas la force, alors, de rester seul. Rejoindre une maison et des amis est ce que tu sens qu’il te faut pour parvenir à ne pas t’effondrer alors. Un espace où dormir, à côté des amis. Un matelas. Un lit. Dans une maison, amitié, accueil. Un matelas. Un lit. Dans une maison où l’amie est absente. Tu dors. Dans le lit de l’amie absente. Tu nourris ses animaux. Tu vis dans sa maison en son absence. Tu découvres ailleurs une maison en l’absence de celui qui, bien qu’absent, t’accueille. Tu rencontres celui qui t’as accueilli dans sa maison après l’accueil qu’il t’a fait en son absence dans sa maison. Accueillir. Être accueilli. Dormir dans la chambre de la fille absente des amis qui t’accueillent. Accueillir. Être accueilli. Être troublé par une amie de la fille absente des amis qui t’accueillent. Sensuellement troublé, par la fille-enfant-femme qu’elle est, par ce corps. Par ce corps de femme qui vient. Par la sensualité d’elle femme déjà dans l’extrême de sa jeunesse. Ce temps-là, d’une vie, d’un corps. La jeunesse extrême d’un corps de femme juste après l’enfance. Tu vois cette femme déjà et tu ne comprends pas de suite que c’est le même corps et une autre personne déjà un autre corps tu ne comprends pas de suite qu’elle et l’enfant que tu as connu sont une et même personne un corps le même et un autre une autre personne et la même tu ne comprends pas de suite qu’elle est l’enfant que tu as connue et ne l’est tu sens le trouble tu le ressens à la voir ce n’est qu’ensuite que tu la reconnais tu ne la reconnais pas elle est une autre.

13.08.08. 17h17. Moutiers d’Ahun. Lodève. Crois bien que tu ne me feras jamais vivre un enfer pire que celui que j’ai vécu sans toi. L’enfer. Que je vis sans toi. L’enfer que je vois. Sans toi.

‘’Je ne suis bien que lorsque je ne suis que ce qui est nécessaire pour être l’autre.

Du peu que je suis en train de devenir – et ce peu, mangé ici -, mon besoin – la raison mène alors le cœur – d’entrer dans le moi de celui surtout auquel la parole est adressée et qui peut toucher un secret de sa vie, la hantise, alors, ici et partout, que l’autre soit blessé, même infimement, me tire l’âme, de l’âme enfin, de la volonté pure. De l’âme à cru la vie.’’ (Coma, p.61)

‘’Qu’ai-je donc fait ou pas pour m’éloigner à ce point de cette force centrifuge de la vie : la procréation. De quoi n’ai-je pas résisté depuis le début de la poésie ?

Mais les premiers hommes, outre qu’ils procréaient, peignaient.’’ (Coma, p.73-74)

‘’Tout foyer, tout intérieur, avec femme-mère et enfants, m’apparaît toujours comme le plus noble des palais.’’ (Coma, p.64)

Tu. Toi. L’inattendu. Tu l’as pourtant connu. Reconnu. L’inattendu du retour. Les traces d’une l’improvisation, revisitées une semaine après le temps premier de l’écrit. Improvisation : temps premier. Ce qui vient en premier. En premier lieu. Une semaine après. Aujourd’hui. A l’ombre et au frais dans le garage à Romiguières. Aujourd’hui. Une semaine après à Moutiers d’Ahun ; la table où ce matin les deux taches rouges des feux arrière d’une voiture par la fenêtre à ma droite puis les deux taches blanches des feux avant et la lumière du soleil qui peine à percer le nuage, à l’instant, après la pluie. Aujourd’hui. Deux semaines. Trois semaines après. Nantes. Café tiède. 5h00. Ciel encore noir, dehors. Café tiède au soleil, sur la table que m’a amené Olivier, à Romiguières, à l’ombre et dans le frais de la grange. Et les mouches. Les mouches et les guêpes à midi à Moutiers d’Ahun, avec Olivier, Perrine, et je ne sais plus son prénom. Lorsque nous déjeunons. Et le coup de téléphone de Gwenaëlle ce matin. 07h48. Je m’en vais. Le premier avion de ma vie. Je t’ai écrit une longue lettre. Avant-hier. Je l’ai avec moi.

‘’Car il n’y a pas de gestes anciens. Un geste ancien est un geste mort, c’est un geste qui n’existe pas – une simple habitude. Il n’y a que des gestes nouveaux : de la nouveauté seule d’un geste s’invente ce qu’on nomme un geste. Un corps qui danse ouvre avec ses gestes des espaces où aucun geste encore n’est allé. La danseuse envoie son geste dans l’air afin de trouver des espaces qui, avant ce geste, n’existait pas. Avec ses gestes, elle invente des espaces ; et avec ces espaces, elle invente le corps qui les découvre.’’ (163)

La table. L’espèce. La lecture de Michaël Glück à Lodève. La voix calme profonde. Calme profonde grave. Inutile de forcer. La voix porte. Elle résonne depuis dedans. Puissant sans désir de puissance. Régnante sans désir de règne. Témoin de ce que le corps abrite porte et projette. Calme profond de loin en soi venu là donné. Grave pour dire de loin. De loin en soi. De loin bien en deçà de soi. Calme, pour pouvoir le dire. Seul chemin pour le dire. Sûr de la vérité non pas, mais de la justesse du rapport à la vérité. Tandis que le rapport vécu s’énonce, se revit tandis qu’il se dit. Vit : à nouveau. À neuf. Et du plus loin. Et plus loin, devant, projeté. Cette justesse. La vérité de ce rapport.

Le sexe au soleil. Le chauffeur qui se branle sur les chemins des arrière-pays. Nous voilà quatre, à présent.

02.09.08. 8h55. Nantes. Il travailler. À comprendre. Ce qu’est l’amour. Il travailler. À comprendre. À qui s’adressent les mots qu’il énonce. Il note en vrac : la bonne parole, donner de la force, le livre, chacun sa bible, LE livre, c’est quoi TON livre. Le livre en train de s’écrire : ton corps en train de vivre : le lieu où tu vas chercher les phrases, non en un objet extérieur à toi : mais en toi. Non en un objet intérieur à toi : mais hors de toi. Le corps, lieu de la vie : accueille la mort par la vie. il note en vrac : extase, illumination, révélation, parler à livre ouvert, aller chercher ses phrases dans son propre corps : mémoire de ta vie. Aller chercher les phrases au dehors, non, elles viennent. Celles du dehors : viennent. L’événement vient du dehors. Le corps, comme lieu de mémoire, le corps comme seule présence. Hors l’événement.

13.08.08. ÊTRE TÉMOIN. LE DEVOIR DE RÉAGIR. LES MOTS POUR CHACUN. POUR CALMER LES ESPRITS DES GENS. QUI ÇA, LES GENS ? LES VIVANTS ET LES MORTS. CELUI À QUI L’ON N’A PAS DONNÉ UN RÔLE. CELUI-LÀ EST UN (F)ACTEUR DE DÉSORDRE. CELUI-LÀ QUI N’ÉCRIT PAS SON RÔLE. CELUI-LÀ EST UN (F)ACTEUR DE DÉSORDRE. POUR LUI MÊME. UN (F)ACTEUR. POUR PERSONNE. UN (F)ACTEUR, AUX LETTRES EN DÉSORDRE. SANS ORDRE(S). SANS ADRESSE(S). ADRESSES PERDUES, EFFACÉES, MÉLANGÉES, IMAGES BROUILLÉES, LIENS DISTENDUS, ENVELOPPES OUVERTES, MOTS OFFERTS À LA LECTURE MAIS SANS RÉCIT(S) CONSTITUÉ(S). SANS DESTINATAIRE(S). TOUT À ÉCRIRE.

Très simplement : écrire, décrire, le monde, juste là où tu es. Là, où tu nais. À chaque instant de dire l’instant du lieu. Le travail : est le chemin vers ce très simplement.

Se souvenir du trajet. Te lire les phrases. À toi de dire maintenant autrement ce que tu entends : ce que décrit la phrase que tu entends de l’autre. Dans les mots de l’autre. Quel mot (je) (te) pointe. Enlever les verbes. Et regarder. Voir sans les verbes ce que les mots décrivent, disent, montrent. Sans les verbes. Avoir une personne en pensée. Tandis que tu regardes le monde. Tandis que tu écris. N’avoir personne en pensée, et le surgissement d’une telle ou d’un tel, à voir ou penser ceci-cela du monde. Avoir un mot secret en pensée. Avoir un secret. Aller chercher un objet. Trouver un objet. Détourner l’objet de sa fonction primitive, dit-elle. Laisser venir la pensée à la vue de l’objet, lui dis-je. Inventer une nouvelle fonction à l’objet, dit-elle. Dire la pensée et laisser venir ce qu’en entend l’autre pour affirmer la différence, de l’un à l’autre, et dire ici : se loge la fiction, lui dis-je. Affronter ses ennemis dans une idée de paix, dit-elle. Mener la guerre à l’évitement, lui dis-je. Trouver son animal, son fou, son clown, dit-elle. Trouver son corps de vie, lui dis-je. Fabriquer une protection, dit-elle. Lancer chaque phrase à l’assaut du monde, lui dis-je. Lire les textes écrits. Lire le muet de l’écriture. Montrer le corps muet dans l’action d’écrire. Décrire l’action de naître. Ne jamais inventer. Ne jamais cesser d’être. Ne jamais cesser d’être autre. Emettre le son de la voie. Oser l’invention.

‘’Car c’est toujours entre Eros, les phrases et la mort que ça a lieu.’’ (319)

‘’Peut-être c’est son secret : il a un royaume. Les humains n’ont pas de royaume. Un humain, c’est un être privé de royaume. Les buissons, par exemple, les forêts, les océans ne les reconnaissent pas. En un sens, il règne, lui aussi, mais sur la destruction. Il règne sur l’absence de royaume.’’ (355)

02.09.08. 10h54. Nantes. Ne plus attendre l’appel. Écrire. Incarner un mouvement. Ne plus être de passage. Être présent quelque que soit la durée de la présence. Laisser des traces. Marquer. Impressionner. Être impressionnant. Être impressionné. Être de passage. Énoncer la vérité de l’instant non comme une vérité mais comme un tremblement. Ne pas utiliser le tremblement comme une ruse pour provoquer la pitié. Faire peur. Ne pas craindre de faire peur. Ne pas craindre ta peur. Vivre ta peur. Ton désir. Laisser traces de ta vie. Laisser trace dans les corps que tu touches et pénètres, par ton corps, par tes phrases. Laisser traces [gloire du temps], non comme une intention. Ne te retourne pas, sur les traces laissées. Ne te soucies pas, de ce que tu laisses. Défais tes laisses. Défais, laisse. Ta force, ne se déploie que depuis l’intensité et la densité du réel. L’intensité : de la réalité de ta présence [dans la densité du réel], de la présence commune partagée, avec ceux ici présents dans ce lieu. Et dans chaque corps, la mémoire de chaque vie. Quand deux corps se touchent, deux mémoires se touchent. C’est un événement.

Tu marches dans une pièce vide. C’est à Romiguières. Tu es heureux qu’il n’y ait personne. Tu es heureux d’être seul. Tu notes le numéro de la cabine téléphonique à Romiguières. Tu notes le passage d’un corps étranger dans la vie de ton corps. Le corps étranger dans la vie de ton corps est un livre que tu es en train de lire, un livre qui dit un chemin où destruction et jouissance par l’expérience d’un corps accède à la réconciliation. Tu es à Chantelle. Encore une fois tu es venu te réfugier ici. Te reposer sur eux deux une fois encore. T’isoler dans la chambre du haut. Finir la lecture du corps étranger dans ton corps. Et commencer l’écriture. Ici. Chantelle. Moutiers d’Ahun. Paris. Nantes. Aujourd’hui. Tu veux être dérangé ou tu ne veux pas être dérangé. Tu veux déranger ou tu ne veux pas déranger. Tu veux quel ordre. Tu veux quelle origine. Château d’Arçon, hier. Fin de la lecture de Cercle, hier. Tu veux quelle origine. Je veux être le fils d’un empereur. Je veux régner sur mon empire. Je veux être l’empereur même. Je suis : le fils caché de la maîtresse de l’empereur. Je suis le corps étranger dans le corps de la femme de l’autre. Je suis l’impossible origine à connaître. Je vais choisir l’origine. Je vais la faire. Je vais choisir le point d’origine : ce sera là, lui, je rendrai visible l’origine et je dirai ici se tient le point de départ. C’est aujourd’hui. Chantelle. C’est en août. Aujourd’hui. Nantes. En septembre. Je lis : la vie d’Elisabeth Le Michaud d’Arçon, maîtresse de l’empereur. Je lis Nietzsche, Deleuze, Proust, Alleg, Badiou, Levinas. Je lis leur nom sur les couvertures. Il me faudra mille ans pour ouvrir tous les livres et lire dedans. Lire : dedans. Je lis trois phrases. Lire : au dehors. Écrire : vers dehors. Écrire : vers le dehors. Chaque phrase est un monde. Qui entre ou qui sort. Qui entre. Et qui sort. En même temps. Haenel citant Thomas : celui qui connaît le monde découvre un cadavre, et celui qui découvre un cadavre, le monde ne peut pas le contenir. Traquer l’écriture dans le chaos du tout-rien possible. Je lis les noms, je lis les titres, divine comédie, chant d’Ulysse, Primo Levi, Moby Dick, Idiot, Faulkner, Kafka, Flaubert, Bataille, Sebald. Et dans la maison de Saint-Denis en Lozère, un paquet plein de feuilles, dernières traces de l’été, oubliées en partant.

‘’(…) l’ensemble du Livre brûlé, dont certains feuillets, récités par ses disciples, ont circulé dans des villes d’Ukraine. Ce livre a été écrit et pensé pour être brûlé, afin que le secret s’accomplisse en acte. L’étagère est vide.’’ (478-479)

La phrase qui court d’une page à une autre. Est la reliure du livre. Une phrase qui court d’une page à une autre. Une phrase relie le livre. Une phrase qui relie deux espaces séparés. Une phrase par laquelle tient le livre. Le corps est une reliure entre deux points non écrits. Le point ne s’écrit pas. Le livre est ouvert.

‘’Pour qu’une phrase soit une phrase, me disais-je, il faut qu’elle traverse les trois étagères, il faut qu’elle soit à la fois visible, brûlée et cachée.’’ (484)

‘’Ce n’est pas le sens qu’ont les choses qui importent, mais le désir qu’on a d’elles’’ (485)

‘’L’INOUBLIABLE. A la manière dont on parvient à se vivre comme mémoire se reconnaît l’entrée dans la jouissance. Il existe un point à partir duquel cette mémoire vient à la parole. C’est un point amoureux. L’amour est seul capable de vivre l’expérience infinie de la mémoire, parce qu’il coïncide avec les phrases. Il existe grâce à elles ; elles existent grâce à lui. L’amour et les phrases sont une même chose, c’est-à-dire une opération qui ouvre. L’opération de l’amour s’égale à celle des phrases, en ce sens que l’amour est l’élément même des phrases, et les phrases l’élément même de l’amour. Dire et aimer coïncident. La jouissance qui vient de leur coïncidence est l’élément même de ce livre.’’ (488)

Aujourd’hui. Noter le numéro de téléphone de la maison de Saint-Denis en Lozère. Téléphoner. Les dernières traces manquantes de l’été cheminent maintenant par la poste. Fin de la lecture de Cercle hier, aux pieds des remparts du Château Rocher. Un mariage et son cocktail sur le parking du Château Rocher. Les maisons à vendre, à Blot-l’Eglise. Les maisons à acheter. La désertion des campagnes. Le travail à la ville. Le numéro de téléphone de l’actuelle propriétaire du château d’Arçon. Fantasme d’origine. Je suis le fils de la violeuse de l’empereur et je règne sur tout un peuple d’animaux en colère et dans la peur. Fils de prince, d’empereur, de paysan, d’ouvrier. J’ai bâti le château d’Arçon en 1234. Je suis une armée de maçon. J’ai rédigé le récit intitulé histoire du château et de la famille d’Arçon depuis ses fondations en 1234 jusqu’à l’année 1920 lorsque mon grand-père avait huit ans, âge auquel, en 1976, le soir de la demi-finale de la coupe d’Europe des vainqueurs de coupe opposant l’équipe de football de Saint-Etienne à celle de Liverpool, je fus violé. L’instant où le ballon cogne l’angle de la barre carrée le détournant et lui interdisant l’entrée dans la cage du gardien de but est l’instant du fantasme de mon viol. Interdisant l’entrée dans la cage. Gardien du but. J’attaque la justice. Je fabrique des barres sans angles afin que la balle puisse entrer dans la cage. Je falsifie l’histoire. Je la réécris Je l’écris afin de naître enfin. Je commets l’inadmissible : ma naissance par le viol. Du néant. Je convoque la souffrance dont j’ai fait l’expérience sans la connaître. Je crée le vertige. Je vacille. L’actuelle propriétaire du château d’Arçon me demande si je vais bien. Je suis dans un vertige. Elle demande vous habitez où. Je réponds : pour l’instant, à Nantes. Elle demande pourquoi pour l’instant. Je suis. Un vertige.

‘’Lorsque Primo Levi dit la terra lagrimosa, la terre des larmes, à la place de la terra nova, la terre nouvelle, lorsqu’il déforme ainsi les mots de Dante, ces déformations serrent le cœur. Car alors, a dit Elisabeth, ce n’est pas seulement la mémoire de Primo Levi qui lui joue des tours, c’est le camp lui-même qui s’introduit dans le poème de Dante : c’est lui qui parle à travers les mots anciens. Primo Levi ne fait pas erreur en récitant le poème de Dante, sa mémoire ajuste les mots qui lui sont nécessaires pour vivre et dire ce qu’il vit. A ce moment-là, Ulysse naufragé, c’est lui – les paroles d’Ulysse concernent tous les hommes qui souffrent. Et ces mots, pour peu qu’on les redise, a dit Elisabeth, en disent toujours plus long sur nous, chaque fois. Et même aujourd’hui, a dit Elisabeth, un peu émue. Ni Wladyslaw ni moi ne lui avons demandé ce qu’elle entendait par là, parce que, à notre manière, nous le savions. Chacun sait pour soi, et pour chacun. Alors Elisabeth a proposé de réciter le chant d’Ulysse dans l’ordre. Reprenons, a-t-elle dit, on y est presque. Bientôt, dans l’Opel Vectra des Szymanski, les vers de Dante ont commencé à s’ajuster. On les répétait jusqu’à ce qu’il trouve leur place exacte. C’était une tapisserie de mots décousus qu’on déplaçait pour les recoudre au bon endroit ; et bientôt, tandis que là-bas, déjà, se dressait la sinistre porte, on parvint à redire, à trois, le poème. C’est tout un voyage que de chercher dans sa mémoire des paroles, me disais-je. Et à travers nos corps la parole d’Ulysse passait dans la parole de Dante qui passait dans la parole de Primo Levi, qui passait dans la nôtre, où elles se rencontraient ; et ce passage de la parole à travers le temps formait un voyage qui ne s’arrêtait pas, un voyage qui, en un sens, franchissait la porte, et franchissait toutes les portes, car la mémoire, me disais-je, est le vrai nom du temps, et la mort ne peut rien contre elle.’’ (470-471)

La porte, c’est celle d’Auschwitz. Vous avez amené un peu de boulot me demande le patron en me voyant sortir quelques feuilles d’une chemise rouge. Non, une lettre. Relire la lettre avant de l’envoyer. La télévision dans le bar est allumée. Elle diffuse des épreuves des jeux olympiques à Pékin. Chantelle. France. Je poste la lettre écrite ce matin. Une lettre confiante en cela qui est en train de naître et peut nous aider à vivre. Quoi que nous vivions. Aujourd’hui.

03.09.08. Nantes. 16h55. Chercher le sens par le son. Prononcer mère-père et entendre mes repères. Reprendre. Reprendre le tout jeter tout garder. Retranscrire quelques mots écrits avec deux enfants. Tous les trois en promenade et en écriture, cet été : le ruisseau au bord du chemin. Et cette phrase qui revient : le geste, c’est la vie-même. Noter les codes d’accès. Les portes de nos demeures. Tu as peur de quoi. Une société qui ferme. Une société fermée. Sur la place centrale à côté de la pharmacie, au dessus du magasin de souvenir, le dentiste à Saint Pée sur Nivelle. Vendre tes souvenirs. Les donner. Les livrer. Saint Pée sur Nivelle. Pays basque. Nul souvenir d’enfance, si ce n’est la route droite et tout au fond une perpendiculaire par laquelle s’en aller. Être dans ce décor. Être dans le lieu même nullement un décor. Cet été, y être. Fantasme de viol. À chaque évocation de l’enfance. Correspondance entre l’image et le lieu réel. Dans quel hôtel dormions-nous. Ici. Aller chercher le paquet avec les dernières traces de l’été manquantes. Hier.

Ouvrir le paquet. Des feuilles encore blanches, pour certaines déjà perforées et prêtes à alimenter le carnet que je glisse dans la poche droite de ma veste lorsque je porte une veste. Carte de visite d’un jeune éditeur. Adresse de l’organisme responsable du centre aéré d’où venaient les enfants qui participaient aux ateliers. Noms des deux enfants qui ont participé à l’atelier que je proposais. Noms des enfants mais pas leurs adresses car les adultes sont des dangers vivants pour les enfants aussi ne faut-il pas communiquer l’adresse des enfants aux adultes surtout à ceux qui les demandent mieux vaut garder les adresses des enfants dans les bureaux des organismes responsables des centres aérés où là nul adulte n’est un danger pour l’enfant. Quatre adresses e-mail dont une associée à un nom qui ne m’évoque personne. Une adresse associée au nom d’un éditeur à qui j’écris quelques mots pour qu’il n’oublie pas mon existence. Une hésitation entre mon existence et que je suis vivant.

‘’Personne ne possède vraiment un corps, me disais-je : on ne commence à avoir un corps, on ne commence à vivre à travers un corps, que lorsque ces phrases ont mis ce corps au monde, lorsqu’elles l’ont réveillé.’’ (87)

‘’La mort : un mur aveugle où se cognent finalement toutes les têtes questionnantes.’’ (Moby Dick in Cercle, p.82)

Une liste nommant celles et ceux à qui je veux proposer de participer à la revue. Travailler avec. Travailler en regard. Travailler en rapport. Une enquête sur l’allant. Une enquête sur la langue. Une enquête sur le bout de la langue. La question du secret, infinie. La question du surgissement. La question de la jouissance. Un travail pour défaire la confusion. Un appel à bâtir dans le chaos, partant de lui.

04.09.08. 07h03. Nantes. Un enfant avec son cartable et une règle qui en sort et une larme sur la joue droite de l’enfant. Un marque-page publicitaire pour une revue littéraire. Le prénom du responsable du rayon littérature d’une librairie à Paris. Une carte postale publicitaire pour une maison d’édition et pour un livre en particulier publié par cette maison. Être. Publié. Par une maison. Par des murs. La question de savoir comment cette carte postale est arrivée ici. Deux adresses e-mail. Le nom d’un festival. Le nom d’un salon. Le nom d’un marché. Le nom et le prénom et l’adresse e-mail et le numéro de téléphone d’une femme qui veut me commander un texte à écrire à l’occasion de la naissance d’un enfant. L’adresse Internet d’une galerie qui va fermer ces portes pour cause de séparation. Le programme d’un festival. La maison au bord de la rivière. La marche dans la montagne. La marche en plein soleil. La marche avec deux enfants. L’écriture avec les enfants. Manger les fruits et les gâteaux dans la montagne avec les enfants. Marcher seul. Lire le texte écrit avec les marches dans la montagne, avec les enfants, seul. Lire avec ceux qui t’accompagnent. Ceux avec qui tu dialogues. Un faire part pour un mariage. Une enveloppe et dessus ton nom écrit à l’encre noire et dedans une feuille cartonnée, vierge d’écriture. Des frais de transport. Un achat de batterie pour ton ordinateur en guise de salaire. Une demande de bourse au centre national du livre. Une enveloppe papier kraft avec dessus écrit ton nom en lettre rouge. Les phrases écrites avec les enfants à l’intérieur de l’enveloppe. Les noms des enfants et pas leurs adresses. Un itinéraire, 20 minutes, Avignon nord, Saint Saturnin Lez Avignon, Pernes Les Fontaines, direction Pernes Les Fontaines, Saint Saturnin, 4 kilomètres 5, à droite, une miroiterie, un rond point, 100 mètres, 200 mètres, à gauche, troisième chemin, quatrième chemin, chemin de tante Belle, c’est là, tout au bout. Un itinéraire, 17 kilomètres, Romiguières, Hérault, l’autoroute, direction Millau, Lodève, Les rives, 20 minutes, le village, la mairie sur la gauche, le parking en amont, une porte en métal, une petite ruelle qui descend, une première maison à gauche, une deuxième maison à gauche, une grande entrée en pierre cintrée, une grange en ruine, un compteur d’eau à droite de la porte, un caillou dans le mur à 20 centimètres du sol, un trousseau de clé, une porte, un tableau électrique, un cumulus, un escalier, une échelle de meunier, un petit mur de brique rouge, un fil électrique, à nu, deux prénoms, la maire du village, c’est ici. Entrer dans la maison d’Olivier, en son absence, et sans le connaître, sans l’avoir encore rencontré. Se voir une semaine après. Pour la première fois. Panne de voiture, dans la nuit. Marcher dans la nuit étoilée d’été avec Olivier et Perrine. Répondre à un questionnaire à l’issue de la participation à un festival. Écrire un texte et le travailler jusque dans les dernières minutes avant sa lecture. Un texte écrit avec la montagne, un texte lu au pied de la montagne. Un texte écrit avec la ville et lu dans une chambre, à la campagne. Un texte lu une fois, une seule fois, pour ceux qui étaient là. Un texte lu et enregistré pour être diffusé plus tard. À Lussas. En mon absence. Modification de la voix sachant qu’elle est enregistré. Modification de la voix selon que le texte est lu pour une personne ou pour plusieurs. Modification du corps. Modification du rapport entre les corps. Modification de la voix selon qu’elle est amplifié ou pas. Modification des corps. Un corps qui parle. Un corps. La circulation des phrases traversant les corps. Une lecture guerrière. Un désir de murmure. Dehors, il pleut. Je sors.

04.09.08. 08h50. Nantes. Et maintenant, tu vas te fâcher. Maintenant tu vas te mettre en colère. Maintenant, tu vas te mettre en colère contre qui jamais tu ne t’es mis en colère. Contre qui, face à qui, tu ne laissas jamais éclater ta colère. Maman, maman. Elle entre dans la chambre et elle fouille, je la vois, elle est en train de lire ce qui n’a pas été écrit pour elle. En mon absence. Elle regarde ce qui ne la regarde pas. En mon absence. Je suis nu face à des yeux qui veulent lire en moi. Elle dit. Tu es la passion que je n’ai pas eu et je veux lire en toi. Je dis que je suis ta mort et que tu aimes ta mort. Elle dit je pense comme tu penses. Je demande : mais toi tu penses quoi toi tu penses quoi toi. Je ne dis pas ce que je pense. Tu ne dis pas ce que tu penses. Si je dis ce que je pense, je te blesse, je te perds, je te pleure. Je suis ta passion. Je suis la passion qu’elle n’a pas eu. Je suis ta mort. Je pose des questions là où il n’y a pas de réponses. Je pose des questions pour ne pas dire ce que je pense et tu ne réponds pas. Je pose des questions. Les réponses ne me satisfont pas. Je n’entends pas les réponses. Je n’attends pas de réponses. Arrête de poser des questions. affirme. À la place de chaque question, pose une affirmation. Dis ce que tu penses, maintenant. Je veux savoir ce que tu penses. Je m’ouvre à la querelle. Je mets la question en commun. Je mets la question entre nous. Elle est l’objet qui nous sépare. Elle est l’objet qui nous réunit. Elle est extérieur à chacun de nous. Voilà notre point commun. L’extérieur. C’est à dire : le temps. Notre seul bien commun. Dès que le temps entre en nous : commence la différence. Je ne crains plus l’influence que peut avoir ta réponse sur moi. J’écoute ta réponse. J’articule ma phrase. Nos mots s’affrontent, se frottent, se mélangent. Je veux bien que ta réponse me modifie. Je veux le désaccord. Je veux entendre ta voix quand tu parles, pas la mienne. Je veux entendre ma voix quand je parle, pas la tienne. Je pose, dépose la question, entre toi et moi. Je veux savoir ce que tu penses pour te dire ce que je pense. J’en appelle à ce que tu dises pour pouvoir dire. Je dis afin de pouvoir exiger que tu dises. Je veux te répondre. Je veux correspondre. Non, à l’image de. Mais, avec toi. Co-répondre. Chacun. Combien sommes-nous. Une bonne centaine. Une bande. Un groupe. Deux, au minimum. Je suis au téléphone. Dans une cabine téléphonique. Je hurle. Dans une cabine téléphonique. Laissez-moi me taire. Laissez-moi parler. Laissez-moi dire ce que j’ai à vous dire. Ne me demandez plus de parler pour dire ce qu’ils vous est nécessaire d’entendre. Laissez-vous ne rien attendre de moi. Laissez-vous en paix, sans moi, laissez-moi. C’est toujours elle qui répond. C’est toujours lui qui appelle. Aujourd’hui. Je suis prêt pour le dialogue. Aujourd’hui. Je ne crains plus ta réponse. Aujourd’hui. J’ose dire et si ta réponse répète la mienne je te hurle à la face par le trou : tu penses quoi, toi.

26.08.08. 19h01. Paris. Ce n’est pas tant la matière qui manque. Jamais la matière qui manque. Seulement l’entrée, l’accès. L’accès au présent du temps. Assis en terrasse du café de la tour. Je suis tari. Je ne trouve pas la force. Je la convoque. Je l’appelle. J’ai perdu l’accès au souffle. J’ai perdu l’accès à l’évidence de l’écriture qui s’écrivant réalise un temps de la vie. Je cherche cet accès. Je commence, contraint, sans entrain. Dans la seule croyance en la vertu de l’écriture qui trouve sa force dans la force qu’elle se donne et dont le corps se souvient. Un lien : entre croyance et mémoire. Confiant en cette croyance, confiant en la force-vie qui de l’écriture à la vie circule et qui, par le plaisir dans son mouvement, parviendra à faire que je n’attende plus, et que j’aille, ou que j’aille, et quoi que je fasse. Je cherche des yeux. J’attends le corps qui me calmera. J’attends le corps qui vivra l’ivresse avec moi. J’écris sous influence. Je lis sur la table l’adresse de la chambre que je fais visiter depuis hier. Je suis propriétaire. Je cherche un locataire. Je croise Baptiste place de la Bastille, il me demande chez qui je dors, je dis chez moi. C’est chez moi, ces murs m’appartiennent. Vivre entre des murs qui ne t’appartiennent pas. Vivre et nulle demeure où te sentir chez toi. Vivre dans un corps qui enfin t’appartient. Vivre en toute demeure te sentir chez toi.

Une adresse. Un code d’accès. Ta date de naissance. Être certain de ne pas oublier. À chaque instant de ta vie, être en train naître. Le corps se souvient de chaque instant où tu es en train de naître. Bâtiment B. Porte gauche. Image de la clinique où tu es né. Des couloirs. Images inventées piochées dans quelle autre mémoire. Image des premiers couloirs dans lesquels on transporte ton corps. On. Etre transporté. Je. Cherche un accès à mon corps. Pour. M’abandonner à lui. Seul accès pour. Mon abandon à toi. Interphone. Cinquième étage.

Le nom et le prénom d’une femme que j’imagine jeune et qui ne viendra pas. L’heure d’un rendez-vous. Un numéro de téléphone. Une base de données sur Internet. Un site internet. Des morceaux de musique enregistrés et disponibles. L’hyperdisponibilité. Le mensonge. L’absence des corps. Repasser à la chambre pour y chercher un pull.

28.08.08. 19h23. Paris. Votre livre, monsieur, est-ce qu’il est à vous. Je l’oubliais. Il se défit de l’influence de. Il jeta les vieilles phrases par dessus bord. Toutes les phrases sont vieilles qui ne sont pas passées par ton corps. Il creusa la mémoire. Il ouvrit le présent. Par son corps.

04.08.08. 10h28. Nantes. Des indices. Une assurance. Le commerce : pour dire la relation que l’on entretient. Les mots de l’ennemi. Les mots salis par l’emploi de mort qu’il en a été fait. Les mots de l’ennui. Un virement automatique. Un état des lieux. Une caution solidaire. Une reproduction. Une identité. Un relevé topographique. Un relevé, chronologique. Une flèche affolée qui montre mille lieux, mille points. Un bar dans la Creuse et le patron et la phrase va te faire bouillir le cul. La maison natale. La chaise sur laquelle tu écris ces mots. La maison du retour au pays. Le four crématoire où tu finiras. Une marche jusqu’au fleuve. Une traversée de la ville. Une traversée du fleuve sur un bateau. Une marche à pied jusqu’à l’aéroport. La rue de la paix. La rue des Pontreaux. À gauche la rue des Sencives. Une bière à l’aéroport. Regarder les autres arriver. Regarder les autres attendre. Un retour en longeant la voix ferrée. Une pensée vers Berlin. Une marche à Berlin. Le téléphone qui sonne. Tu ne réponds pas. Une semaine de travail avec une chorégraphe. Une semaine de travail avec un dj. Une semaine de travail avec une historienne. Une semaine de travail avec un créateur lumière. Une semaine de travail avec un créateur son. Une valise que tu ouvres. Une fermeture éclair. Une poche. Une veste et dessus écrit le nom de la ville où tu es né. Écrire avec une veste sur laquelle est écrit le nom de l’instant tel que tu veux le donner comme question pour la querelle et l’accord : MAINTENANT LE POSSIBLE. Une clé réseau. Un prénom tout attaché en minuscule. L’émotion teintée de nostalgie à l’écoute de chansons d’un temps que tu n’as pas vécu. L’émotion vive à entendre l’immensité du possible de la liberté offerte. Le nom de la ville où tu travailles. Arzon. Le nom du village où tu rentres dormir. Quibéran. Une semaine à Paris. Un homme seul est un homme dangereux. Cette pensée. Un homme seul est un homme dangereux. Ce regard que l’on jette sur toi. Le danger qui n’a rien à voir avec la peur. Le mouvement qui ouvre. L’ACCÈS À L’IVRESSE.

‘’Il arrive, lorsque vous vous tenez aux aguets, de dos contre un mur face à la foule, que monte en vous une mélopée fière qui vous tourne le sang, elle n’a pas besoin de s’épancher, elle vous emplit comme un alcool parfait, elle chante votre distance avec une voix corrosive et douce : c’est l’orgueil.’’ (Introduction à la mort française, p.13)

Là où tu ne laisses pas un enfant, laisse un proverbe. Là où tu donnes si peu d’amour. Là où tu ouvres si peu ton cœur. Là où une hyène se souvient. Là où, ouvrant si peu ton cœur, tu te souviens de la hyène. Là où : rationalisation = désenchantement. Là où le verbe tancer. Là où le verbe louvoyer. Là où l’ennui. La où tu creuses. La question de l’ennui.

‘’(…) comme si elle sortait à peine du moulage où la tenait son propre récit’’ (30).

‘’Et si nous savons y faire notre existence se redistribuera toute entière, tramée, détramée, retramée à neuf’’ (35)

‘’C’est lorsque la langue ne parvient plus à affronter la mort que celle-ci se dira, d’elle-même, en tout.’’ (91)

‘’Je ne connais de détresse que celle qui chauffe la volupté et l’installe sur un trône qu’une fièvre aura préparé.’’ (161)

‘’inventer sa propre faveur’’ (162)

Et quand il n’y a pas de place, on fait comment. On attend qu’il y en ait. On va ailleurs. On. Et toi. Tu. Ne passes-tu pas au tu. Ne passes-tu pas à l’attaque. Je. Suis arrivé ici pour que tu te sentes chez toi chez moi. Écriture encore à nouveau toujours avec les mêmes questions mais autrement désormais, j’ose le croire, je veux le croire. Un autre mouvement me pousse. J’écris en avant.

‘’Quelque chose qui fut essentiellement oublié. Ce quelque chose, selon Nietzsche, c’est l’unité de la pensée et de la vie (…) – l’unité qui fait de l’anecdote de la vie un aphorisme de la pensée, et d’une évaluation de la pensée, une nouvelle perspective de la vie’’ (Nietzsche, Deleuze, p.18)

MAINTENANT LE POSSIBLE.

08.09.08. 19h55. Nantes. Tu détournes les yeux pour ne pas avoir à répondre. Tu regardes. Tu regardes partout. Tu cherches la réponse. Tu cherches un mot. Tu cherches dans les yeux la réponse. Tu cherches en toi. Tu cherches un mot, tu trouves un mot, tu l’ouvres en deux, tu le veux double : pouvant accueillir un double mouvement. Tu cherches un mot, pour l’associer à un autre mot. Tu cherches l’autre mot. Avec ‘’MAINTENANT’’, tu dis le passé et le présent, tu fais le lien du passé au présent, tu dis la durée et le présent. Tu cherches un mot, qui ouvre, et qui ferait le lien du présent à l’ouvert. Tu cherches un mot pour l’associer au mot trouvé. Tu cherches un mot qui ouvre. Un seul mot peut suffire.

09.08.08. 14h20. Un mot. Je cherche un mot. Je demande de l’aide. Je décris le mot que je cherche. Je pense que le mot est le mot oui. Je pense à Thomas Bernhard. Au roman qui porte ce titre. Au livre qui porte ce titre. Ce oui, associé au suicide. Ce oui est déjà pris. Ce oui, associé au mariage. Les mots et leur imprégnation chrétienne. Je pense au oui sacré de l’enfant de Nietzsche. Sacré. Je pense au profane. Profane = devant le temple. Devant la maison. Je traduis. Je détourne. Je ne creuse pas. Je laisse venir. Je fais quoi avec le mot viol. Je fais quoi avec l’interdit des mots. Je n’ai pas le droit de parler de viol. Je n’ai pas été violé. En quoi n’ai-je pas été violé. En quoi ai-je été violé. Viol. Femme. Homme. Ce traumatisme ne fut pas le mien. En quoi ne fut-il pas le mien. Quel chemin en moi prend ce mot avec assez de nécessité pour trouver l’issue qui le dise. Je ne me souviens pas du dernier mot. Je me souviens que tu me demandes si l’on s’est vu hier. Je dis oui je demande pourquoi tu ne réponds pas. Je demande pourquoi. Tu dis oui. Tu ne réponds pas. Tu dis oui. Je n’insiste pas. Je cherche un mot qui permettrait au dialogue de pouvoir enfin commencer. Tu me dis bonjour. Je n’attends pas que tu aies fini de me dire bonjour pour te dire bonjour. Je ne te dis pas bonjour, je dis le mot bonjour dans une mécanique qui doit le dire pour que la scène puisse commencer. Je me précipite. Je ne te parle pas. Je cherche un mot qui me permettrait de te parler. De t’entendre, et de te parler. Je pense au mot oui. Si je pense au mot oui je pense au mot non. Si je pense au mot non je pense au titre AU NOM DES NON MAINTENANT OUI. Je pense. AU NOM DES NON MAINTENANT LE OUI. JE PENSE. MAINTENANT JE PEUX PENSER.

LE CORPS.

‘‘Il manquait de conscience au point d’avoir peur de scandaliser’’. Bataille.

‘‘Ce n’est jamais la réalité qu’on appréhende mais une vue de l’esprit’’. Klossowski.

15.09.08. 11h55. Par la nécessité d’un point dans l’espace où être. Aujourd’hui. Pourquoi. Quitter ce lieu. J’y reviens. La nécessité. D’un point fixe dans l’espace pour pouvoir revenir. Un point fixe comme point où être chez soi, là, tranquille. Apprendre à faire de ce lieu un chez moi. Tu reconnais ton chez toi par le mot retour que tu prononces. Ici c’est chez moi, donc. Bonjour chez moi. Je reste parce que c’est chez moi et que d’ici je peux partir, et qu’ici je peux écrire, ici : je peux revenir et m’isoler. Je reste ici parce que je peux m’installer. Je reste ici. Parce que ; si le téléphone sonne : je peux partir d’ici. Je reste ici, pour seul à partir d’ici pouvoir partir et faire la route avec toi et aller rejoindre les autres et ne pas savoir si je reviendrai. C’est quoi cet aller rejoindre les autres avec toi. Les autres sont les morts. Les autres sont les vivants. Quoi me fait partir. Un coup de téléphone et l’envie d’aller vers les autres vivre avec les autres et l’appel d’une ou d’un autre là-bas qui dit soit le bienvenu. Est-ce que tu pars. Comment tu pars. Sans l’appel d’une ou d’un autre. Sans le sentiment de l’existence d’un accueil. Là-bas. Et. Maintenant. Tu as besoin encore de dire où tu étais. Hier. Et hier. Et hier. Et hier. Et hier. Tu en as besoin pour dire où tu es là aujourd’hui. Avant hier. Avant-hier. Fin de matinée à la maison communale. La commune. Le commun. Non. Fin de matinée à Ti An Holl. Là, tu dis ton nom. Tu te retrouves dans un espace avec d’autres corps comme toi debout et qui marchent. Tu dis ton nom. Avant. Tu dis ton nom. Après. Tu dis ton nom avant ou après que l’autre t’ait dit son nom. Tu dis ton nom doucement. Tu dis ton nom fort. Tous ensemble les corps disent leur nom, et, en même temps. Tu entends le prénom d’une femme. Tu entends un seul prénom dans la masse des voix qui chacune dit son nom un seul prénom s’entend distinctement, tu entends un prénom un seul, c’est un prénom de femme et quand le silence est revenu tu demandes à quel corps appartient ce prénom dont j’ai entendu la voix. Et dans la silence la femme de la voix dit c’est moi, c’est à moi ce prénom. C’est la femme à tes côtés. La femme proche à la toucher si tu tends ton bras sur la gauche et si elle tend son bras sur la droite. Fin de la séquence. Tu as faim. Une femme dit : le silence des organes c’est la santé. Une femme dit : le bruit des organes c’est la vie. Elle parle de maladie et de santé. Elle confond vie et santé. Je dis que nous ne sommes pas malade. Je dis que nous sommes ignorant. Je dis la maladie est un fruit de ton ignorance. Un fruit impropre à te nourrir. Tu dis je recherche la sensation. Nous sommes d’accord sur ce point. Nous nous croisons sur ce point. Et ceci : ‘’Dans la maladie, il voit plutôt un point de vue sur la santé ; et dans la santé, un point de vue sur la maladie’’ (Nietzsche, Deleuze, p.9 – Ecce Homo, Pourquoi je suis si sage, 1).

Plus loin, tu notes : à un moment donné [le don du moment], ce n’est plus indiqué. C’est à Brignogan. Tu y vas pour retrouver une image. Tu as une image en tête : une rue qui descend et qui tourne sur la gauche ou sur la droite tu ne sais plus. Aujourd’hui déjà tu ne revois plus l’image que tu avais en tête avant hier jour où tu as marché dans les rues de Brignogan à la recherche de l’image que tu avais en tête désormais les images de tous les hiers celles d’hier et celles d’avant hier font concurrences et l’image aujourd’hui n’est plus fixe mais peut devenir le récit de ta marche hier dans les rues de Brignogan à la recherche d’une image désormais disparue à l’état de celle qu’elle fut avant hier où tu marchas dans Brignogan dans l’espoir de te retrouver face à elle. Ce qui n’eut pas lieu. Mais. Ce lieu désormais est frais neuf du temps d’hier et du souvenir d’aujourd’hui par ces mots qui le disent.

Ce matin je parlais de mon absence. Ce matin je parlais de là où j’avais été. Je parlais de Brignogan. Ke parlaises photos prises à Guissény. Interruption.

16.09.08. 12h13. Nantes. Je parle de mon absence. Je suis face à un texte écrit par moi sur un mur et le texte parle de la table que je peux voir à droite de la porte d’entrée derrière moi si je pivote la tête : cette table où j’écris ces mots, suis-je en train de lire. Je marche dans les rues de Brignogan. Je ne retrouve pas l’image mais je marche dans les rues. C’est la marée basse. La veille, l’avant-veille, je marche dans le paysage à la recherche du point de vue à partir duquel une femme ou un homme il y a cinquante ans ou plus a pris en photos des lieux d’ici. Ici, alors, c’est Guissény. Je marche dans le paysage à la recherche d’une image. Je comprends pour finir que c’est le point de vue et l’axe de la pensée de celle ou celui qui a pris la photo que je peux retrouver. [voir texte ‘’c’est moi sur la photo’’ + les cinq textes brefs écrits à Guissény.] Les photos. L’image [à présent c’est fait j’ai fait l’image, Beckett]. Le point dans l’espace où l’autre a vu l’image. Le point de vue dans l’esprit à partir de la nécessité duquel l’autre a fait de ce point dans l’espace le point à partir duquel il a fait l’image que tu vois [sur cette photo] et que maintenant tu cherches [dans le paysage]. Comprendre face à telle photo que c’est l’axe de la rue qui détermine l’image et non l’église qui probablement est à l’origine de la photo : à l’origine de la photo [du déclemenchement], oui, mais pas à l’origine de l’image. Lire le texte écrit au mur. Cinq textes imprimés et encadrés et les cadres fixés au mur dans ce bar de Guissény qui n’ouvre qu’un seul jour par an. Ces textes je les accroche en imaginant que d’autres les liront et d’autres les lisent et, à un moment donné, je me lève de la chaise sur laquelle je suis assis et je quitte la table sur laquelle j’écris et je vais lire quelques phrases d’un des cinq textes et je lis si tu quittes des yeux ces mots que tu es en train de lire, si tu pivotes sur toi-même et si tu regardes à côté de la porte d’entrée, tu vois la table où j’écris ces mots, c’est une autre table, c’est la même, elle dit l’écart entre le temps qui fut et celui qui est : elle dit la distance de toi à moi, et le lien qui s’instaure, maintenant.

16.08.08. 12h37. Nantes. La position du corps. L’habitude. Les habitudes. Le mot ignorance que j’emploie. La nécessité du mot ignorance pour la pensée dont j’ai besoin. La découverte d’un mot par la nécessité de dire au plus juste la pensée qui se forme. Le mot ignorance, alors. Ce mot entendu cet été dans la bouche de Olivier. Le trouver trop grand, trop grandiloquent. Le trouver aujourd’hui juste pour la nécessité que j’ai de dire alors. Le mot ignorance. Le mot soucis, aussi.

Hier. Dans le bus. Je n’ai pas le droit de LA désirer. Si je le regarde IL va venir vers moi. IL va vouloir de moi. Tu es pressé. Tu n’es pas pressé. Quoi te presse. Quoi t’oppresse. [Petite grande mort au bout.] [Je vais] Prendre mon temps. Pour alimenter le travail. Et réinsuffler par le travail de la force à la vie. Travail = redonner du souffle à la vie.

- Vous êtes revenue alors ?
- Oui
- Il y a longtemps ?
- Vendredi

Opréa Daniéla, à la sortie du supermarché. Apprendre le roumain. Apprendre à se parler. C’est quoi ta langue à toi. L’argent. La pitié. L’échange. LA PART MAUDITE. Travailler à gagner. L’argent. La pitié. L’échange. Ne pas travailler. Quand mendier est un travail. Voulez-vous enregistrer les modifications apportées à ‘’été 2008’’. Oui.