[11.07] [1ère conférence]. Pour commencer disons que nous sommes trois. Pour commencer disons qu’il y a un espace. Pour commencer disons qu’il y a un alphabet commun. Disons que pour commencer lorsque nous ouvrons les yeux, chacun de nous constate que nous sommes trois, qu’il y a un espace, et que dans cet espace entre nous apparaissent une à une les lettres d’un alphabet que chacun nous connaissons, et que nous supposons être notre alphabet commun. Il y a dans cette supposition un acte de foi flou et fou qui nous réunit avant même que nous n’ayons commencé à faire quoi que ce soit ensemble. Disons que chaque lettre de l’alphabet apparaît. Disons que chaque lettre de l’alphabet ne reste qu’un temps. Chaque lettre de l’alphabet reste le temps nécessaire à chacun pour sa lecture. Chaque lettre de l’alphabet reste un temps suffisant pour que puisse apparaître, en chacun, un mot, puis un souvenir. Un mot et un souvenir ainsi associés à chaque lettre de l’alphabet. Une lettre. Un mot. Un souvenir. La lettre de l’alphabet, quand elle apparaît : est la même lettre pour chaque corps. Les mots et les souvenirs, quand ils apparaissent, diffèrent dans chaque corps.

Vois comme cette lettre ici interroge ton nom. Vois comme cette lettre ici interroge la fiction de ton nom. Vois comme cette lettre ici appelle la connaissance d’une fin connue afin de pouvoir commencer. Vois comme cette lettre ici exige de toi de te déterminer. Vois comme cette lettre ici appelle à défaire en toi ce qui est terminé. Vois comme cette lettre ici exige de toi de définir ce que tu veux défaire de la seule fin connue. Vois comme cette lettre ici est à écrire. Vois comme cette lettre ici est une voix qui t’appelle.

Une à une, les lettres apparaissent. Et dans chaque corps, une série de mots et de souvenirs se forme. Disons que le souvenir est composé d’images et de voix. Et que dans chaque corps une série de mots, d’images et de voix, s’assemblent. Et. Maintenant. Chaque corps part à la recherche d’une phrase. Et chaque corps croise la recherche de la phrase de chaque autre corps. Des mots, des images, et des voix, circulent ainsi dans chaque corps. Et les mots, les images, et les voix, dans chaque corps se dupliquent afin de pouvoir vivre des vies différentes dans plusieurs corps à la fois. Les mots, les images et les voix peuvent faire ça. Se dupliquer. Pas les corps. Les corps accueillent les mots. Les corps accueillent les images. Les corps accueillent les voix. Les images, les mots, les voix, ont besoin des corps.

Chaque lettre convoque un mot. Chaque mot convoque un souvenir. Chaque souvenir convoque un lieu. Chaque souvenir est un espace qui s’ouvre, plus ou moins vaste. Un espace dans lequel chaque corps cherche sa phrase. Chaque phrase est le parcours d’un corps dans un espace. Et chaque phrase invite le corps, de souvenir en souvenir, à passer d’un espace à un autre espace. Chaque espace est une pièce dans une maison dont chaque corps ignore tout de l’architecture. La recherche de la phrase par le corps dessine un mouvement qui trace les plans d’une maison encore non bâtie dans l’espace. Chaque phrase est complexe. Chaque phrase est composée de mille phrases. Et la maison que le corps dessine trace une architecture où passé mort et présent vivant se regardent. Et sur ces ruines, je bâtirai mon empire. Il y a des phrases comme ça qui reviennent. Il y a des espaces comme ça qui reviennent. Il y a tout ce que je ne vais pas chercher, et qui revient. Il y a tout ce qui vient et pour quoi nul plan n’est à tracer. C’est tout. C’est tout pour aujourd’hui.