COMMENCER – Décembre 2008 [2]

Notes pour un texte à venir






13.12.08. Quitter l’appartement. Sac à dos, plein de livres. Poids du papier. Dehors la pluie. Le poncho. Le souvenir du départ à Berlin, mars dernier. Le poncho. La pluie. Faisait nuit dans la marche depuis chez moi jusqu’à la gare. Aujourd’hui dans le jour. Prends le tramway. Sac à dos lourd, beaucoup trop. Retirer les billets auprès de la machine. Voir Frédéric retirer les siens à un guichet. L’attendre. Boire un café ensemble. Nous prenons le même train. Lui jusqu’à la Roche sur Yon. Moi jusqu’à Bordeaux. Changement. Puis Toulouse. En sortant de la gare, aller à droite, dépasser la gare routière, au carrefour suivant me poster au feu rouge, à l’angle opposé du carrefour, sur le pont, au bord du canal du midi, en face d’un restaurant cubain. Dans le train, j’envoie un sms à Régis. À propos de l’édito qu’il a écrit dans Du nerf. Dans le train j’écris ceci : quelque chose en moi qui me réveille dès l’instant où une pensée a été formée, a trouvé une énonciation, et a connu une sortie hors d’elle même : vive. Soit que sa formulation par moi ait donné suffisamment pour atteindre à cette vivacité, par la violence très simple de cette sortie de crâne que commettent les mots quand ils s’assemblent pour énoncer et [oser] affirmer une pensée, soit que la pensée, en plus de cela, fut donnée, transmise, adressée à quelqu’un, d’autre. Affirmation. Possibilité du dialogue. Vie en cours. Bases pour une théorie littéraire qui se pencherait sur le double rapport, dans l’écriture, entre insertion sociale de l’auteur et emploi de subordonnées, d’une part ; caractère dépressif [trouver un tout autre mot] et emploi de verbes intransitifs, d’autre part. Esquisses autour d’un café, dans une gare, un matin, avec Frédéric. Dans le train, lire Beckett. Le dépeupleur. Un bec. Une bouche. Une bouche à nourrir. Une bouche qui nourrit. Les chercheurs et les non-chercheurs. Du dépeupleur. Ils cherchent ou non-cherchent. Le dépeupleur. Ils sont chacun. Le dépeupleur. Les pleurs du dépeupleur. Les chercheurs. Les non-chercheurs. Les ex-chercheurs. Les vaincus. Partir sous la pluie, le matin. Le poncho. Le sac très lourd. La gare. Frédéric. Le train. Toulouse. Appeler Aurelio lorsque le train est arrivé, lorsque le train est arrêté, en gare de Toulouse. En sortant de la gare, tourner à droite, dépasser la gare routière et au carrefour suivant me poster au feu rouge, à l’angle opposé du carrefour, sur le pont, au bord du canal du midi en face d’un restaurant cubain. Une voiture rouge. Un coup de klaxon. Entrer dans la voiture. Embrasser Aurelio. La maison. Dans la maison un enfant, son père et sa mère, et le père du père de l’enfant. Dans la maison, ils accueillent un invité. Les prénoms : Milo, Valeria, Aurelio, Leon, et Marc. Une chambre au fond du couloir à droite, qui sera ma chambre pendant ces quelques jours ici. La salle de bain en commun avec Leon. Frapper à la porte avant d’entrer. Pas de verrou. Monter dans la chambre. Choisir ce que je vais lire ce soir. Dix minutes de lecture. Soirée à la Maison Peinte. Cécile et Isabelle sont là. Lire les fragments Incarner que publiera la revue LGO dans le prochain numéro. Lire quelques fragments des ‘’53 fragments et nous’’ de Vers un chant neuf. Offrir un livre à Heddy avant de partir. Il est en face de moi à table. Ne pas réussir à se parler. Des sourires. Moïse est-il délirant. Les lectures de Sébastien. Le délicieux couscous. Anne Lefèvre. Une maison oppressante diront certains. Les attrape-rêves mexicains. Les yeux qui vous regardent. Chaleureuse maison. Les lectures de chacun. Je n’entends pas ce que tu lis. Je vois comment tu lis. Je n’entends pas ce que tu lis. La diffusion des vieux Zorro à la télévision dans une conversation en bout de table. Le désir pour la voisine de droite. Son corps qui s’endort à mes côtés dans la voiture. Le son des essuies-glasses. Elle reste dormir à la maison. Boire encore un verre avec Aurelio dans la cuisine. Parler. Aller se coucher. Bonne nuit. Fais de beaux rêves dit Aurelio.





14.12.08. Le réveil. Une douche dans la salle de bain sans verrou. Les volets que j’ouvre dans la chambre pour faire entrer la lumière. La chambre à l’étage. Quitter la chambre. Descendre l’escalier. Traverser le hall d’entrée, le salon. Arriver dans la cuisine. Leon et Charlotte en train de finir leur repas de midi. Quelle heure est-il. Midi. Treize heures. Appeler Cécile. Prendre mon petit-déjeuner. Valeria prépare la présentation-défilé de tout à l’heure. Petit-déjeuner. Café. Tartines. Confiture. Hier en arrivant l’impression de déranger. Pas aujourd’hui. Attendre le lendemain pour noter ce qui ne va pas. Travailler à synchroniser l’énonciation d’avec le ressenti. Préparer la salle avec Leon et Charlotte. Une table à gauche de la cheminée, avec les revues et Vers un chant neuf. Du nerf, Ce qui secret. Installer avec Aurelio les chaises dans le salon après la présentation-défilé. Vouloir être équitable en citant les noms de tous ceux qui ont fait quelque chose. Être gêné de citer tel ou tel nom pour ce que j’en dirai et dont j’aurais à répondre. Avoir à. Répondre de ce que je dis. De tout ce que je dis. Avoir à. Répondre de ce que j’ai vu. De ce que je vois. De ce que je fais. Je réponds. Par ce que je dis, par ce que je fais. La communauté hispanique dans la cuisine. Espagne. Amérique du sud. Pascal, un danseur. Émilie, avec ses enfants. Sa jeune fille. Elle cherche son père, elle demande un père, elle demande à chacun il est où ton papa. Penser à une femme seule avec ses deux enfants. Femme seule = sans homme. Vivre l’absence du père. Prendre la place du père. Comment es-tu arrivé ici. Par Gwenaëlle qui a parlé avec Aurelio au mois de juin dernier à Périgueux. Par l’installation des stands à Lodève en juillet qui a fait que nous étions Aurelio Valeria et moi côte à côte. Par la lecture que j’ai faite à Lodève et qui leur a plu. Par la suite que nous avons donnée à ces premiers temps. Et. Maintenant. Les chaises sont partout dans l’espace du salon. Le défilé-présentation a eu lieu. Les trois femmes et leur marche-danse, sensualité, leurs corps, les robes de Valeria. Le joli trouble de la proximité des corps charmant, dansant, déambulant. Le regard sur les robes autant que sur les corps, proches à les toucher, à les embrasser. Et mintenant. Les chaises sont partout dans l’espace du salon. Cécile est arrivée, avec Isabelle, Carole, Catherine. Anne Lefevre est là. Il y a François-Xavier, nous nous regardons, une fois, plusieurs fois, est-ce qu’on se connaît, je vais lui demander. Où est-ce qu’on aurait pu se voir. Sympathie envers lui. Il y a Sébastien. Il enregistre. Il y a ceux que je ne connais pas. Il y a une vingtaine de personnes. Peut-être trente. Je lis les trois conférences. Chacune s’achève par ‘’C’est tout. C’est tout pour aujourd’hui.’’. Pour la deuxième et la troisième conférence, applaudissements après ‘’C’est tout’’. La salle qui par son silence signe un début. La salle qui par les applaudissements signe une fin. J’attends que les applaudissements cessent. Je dis la dernière phrase. Le texte finit avec le mot ‘’aujourd’hui’’. Chaque texte finit avec le mot ‘’aujourd’hui’’. Chaque mot prononcé s’achève avec l’aujourd’hui qui le dit. Chaque mot fait revivre un corps par la parole, une pensée par le corps, à chaque instant de l’aujourd’hui. Un téléphone sonne pendant la première conférence. Son propriétaire décroche et va dans la cuisine puis dehors, il parle. Je l’entends parler. Je ne suis plus avec les mots que je suis en train de lire. Je lis mais je ne suis pas avec les mots que je lis. Je suis avec la voix de l’homme qui parle au téléphone. Quand la conversation téléphonique est terminée, quand le paragraphe que j’ai lu sans être avec ce qui s’y est dit est terminé, je change de place dans la salle, je reprends la lecture des mots que j’ai lu sans les entendre, je reviens dans la lecture, j’entends les mots, je traverse avec eux un temps une parole et une écoute nous relie. Ainsi je peux donner. Parler longuement avec Frida la mère de Valeria. L’événement. L’amour. La poétique de l’espace. Les noms de tous les autres écrivains. Cécile est là et difficile d’être avec elle. Reste un moment puis s’en va avec Isabelle, Catherine, Carole. Nous nous voyons demain. Aujourd’hui je suis là dans cette maison. Avec ceux de cette maison, avec ceux qui m’accueillent, avant tout. Fin de soirée dans la cuisine avec Aurelio, Valeria, Leon, Frida. Leon lit des poèmes de Leon Felipe. Il était lu. Il est élu. Frida parle de la vitesse de réponse des cerveaux des enfants d’aujourd’hui. Un nouveau cerveau va naître. Le corps va s’adapter et se transformer. Face à la vitesse technologique à laquelle il a à répondre. Nous sommes dans une phase de mutation. Nous le savons. Nos corps le subissent. Nos corps répondent. Nous sommes dans l’ignorance de ce qui vient. Comment penser l’utopie nouvelle avec les corps nouveaux pas encore formés. Une attention déployée sans attente, et sans jugement, participe à libérer la pensée, c’est-à-dire à la faire vivre, à toute simplement la rendre possible : dans le mouvement de sa recherche. Bonne nuit. Fais de beaux rêves.





15.12.08. Journée avec Cécile et Isabelle. Les librairies dans la ville. Le froid. Le restaurant ‘’chez nous les libanais’’. ‘’Le café des artistes’’ où j’ai répété je t’aime à une jeune femme pendant une heure en février 2003. [Chaque matin, je me suis levé. Chaque matin, j’ai ouvert l’œil. Chaque matin, j’ai pris de longues heures avant de décider vers où j’allais. Et chaque matin, j’ai couru. Durant quarante jours. Chaque matin, j’ai commencé la course avec le lever du jour. Et, chaque jour, lorsque la nuit tombait, la course s’achevait. J’ai couru, durant toutes les heures du jour, pendant quarante jours, et j’ai dormi, durant toutes les heures de nuit, pendant quarante nuits. J’ai couru. Toutes les heures avant le coucher du jour, une heure, chaque jour, avant le coucher du jour, une heure. Et. Une heure, j’ai dormi, chaque nuit une heure. J’ai vécu, des journées brèves. Et j’ai fait cela qu’il me fallait faire en quarante jours. J’ai fait cela qu’il me fallait faire en quarante nuits. Pour atteindre la ville où vivait celle vers qui jamais je n’avais cessé de courir. Et je suis arrivé. Je savais qu’elle ne m’attendait pas. Ainsi. Je ne suis allé frapper contre aucune des portes derrière lesquelles elle pouvait désormais vivre. Ainsi. J’ai tremblé dans les rues où toutes les femmes avaient son visage. Aucune d’elle n’était elle. Ainsi. J’ai aimé. Dans cette ville. Pendant sept minutes et quarante-cinq secondes, j’ai aimé, celle qui de toutes lui ressemblait le plus. J’avais une caméra dans la main droite, j’ai filmé son visage. J’avais un magnétophone dans la main gauche, j’ai enregistré le son de sa voix. J’ai écrit, pour elle, un poème d’amour. Trente jours, après l’avoir pendant sept minutes et quarante-cinq secondes aimée. J’ai écrit. Pour elle. Un poème d’amour. Je lui ai fait parvenir mon poème. Elle n’a. Jamais répondu. Ça va de soi. Elle n’a. Jamais répondu. Tout. Va de soi. Cela finit. Par lasser. Cela. Ne finit pas. Je suis. L’homme qui court. Et je fais cela qu’il me faut faire durant quarante jours afin d’atteindre la ville où vit celle vers qui jamais je n’ai cessé de courir. Et j’arrive dans la ville. Et ne vais frapper contre aucune des portes derrières lesquelles elle pourrait aujourd’hui vivre. J’arrive dans la ville où elle vit. J’y arrive pour d’autres qu’elle. J’y arrive en train. Je passe. Je passe une semaine dans la ville. Je dors. Dans une chambre. Un hôtel. Et tous les jours, à midi, je vais m’asseoir derrière une table, sur une chaise. La routine. Tous les jours, à midi, j’attends pendant deux heures. J’attends. J’ai trouvé l’espace adéquat pour mon attente. Il semble. Qu’un espace adéquat pour l’attente existe. Dans chaque ville. Chaque désert. Au moins. Un espace adéquat. Avec un couloir, ouvrant sur une rue. Plus ou moins passante. Au fond du couloir, la table. Derrière la table, la salle immense. Aux murs, les objets, ou les briques au sol, et routine, des gens viennent, marchent vers moi, des gens s’assoient, parfois me parlent, parfois, je réponds. Chacun. Trouve sa place. Chacun. Peine à la trouver. J’arrive à midi. Je reste deux heures. Ensuite, je rejoins la chambre. L’hôtel. Là, je m’allonge sur le lit. Je fixe les yeux au plafond. J’évite de regarder les murs. Aujourd’hui, j’évite les murs. Le plafond, ça va. Surface uniforme d’un blanc vieilli tirant sur le jaune. Ça va. Pour occuper les heures du jour. Largement. Ça suffit. Le plafond. Les murs. La chambre d’hôtel. Le papier peint arraché. Et sur le plâtre, parfois, les mots écrits, en retard, toujours en retard. Et là dans la chambre. Un matin. Un homme assis sur une chaise, au bout de mon lit. Un homme sortant un matin de la poche intérieure droite de sa veste un carnet. Et mes yeux vers lui qui appelle : j’attends : qu’il me pose une question. Je le regarde. Je suis prêt. Je regarde ses mains tenant le carnet. Je regarde les murs de la chambre de l’hôtel. Je déchiffre l’écriture sur les murs. Il ne pose : pas de question. Je ne dis rien. Je quitte le lit et je rejoins à midi la chaise et la table pour le dernier jour au fond du couloir. Puis je marche, ensuite, jusqu’à mon premier rendez-vous. J’ai deux rendez-vous. Aujourd’hui. C’est mon dernier jour dans la ville. J’ai pris deux rendez-vous. Le premier, avec une femme rencontrée la veille. Aujourd’hui, je lui répète je t’aime, pendant une heure. Où elle veut. J’écoute. Café de l’usine. Silence. Café de l’usine. A deux pas de la maison, là même où tu vivais, là même où nous avons. Une semaine. Rien. Je sais. Rien. Café de l’usine. Où pendant une heure je répète je t’aime à cette femme. Une femme, ayant accepté ce rendez-vous, je comprends. Moi-même, j’ai accepté. Un deuxième. Rendez-vous. Deuxième. Femme. Que veut-elle. Me regarder penser, à un moment pénible de ma vie. Où je veux. Sous ses yeux. Pour l’endroit, je dis chez vous. Pour le moment, pénible, j’explique à la femme comment j’ai vécu, sans soucis, jamais, aucun. Peut-être pourrais-je penser à quelques douleurs étrangères. Non, refusé, cherchez, la femme dit cherchez, je veux un souvenir qui vous appartienne, un moment pénible, de votre vie, la vôtre, pas celle d’un autre, cherchez, concentrez-vous, cherchez, je me concentre. Je finis par trouver une image vieille. Ça y est. Ne bougez pas. La femme. Me prend en photo. Ça fait partie du contrat. J’ai l’image dans la tête, tandis qu’elle prend les photos. Le souvenir se complète. La femme. Prend les photos. Quand elle arrête, elle demande si je veux bien lui décrire l’image. Dans la tête. Cela ne fait pas partie du contrat, mais j’accepte. Je décris l’image. Ensuite, je marche dans les rues de la ville, et là, pendant sept minutes et quarante-cinq secondes, j’aime, durant cet après-midi, celle qui de toutes te ressemble le plus. Une caméra, dans la main droite, je filme son visage. Un magnétophone, dans la main gauche, j’enregistre le son de sa voix. Pendant sept minutes et quarante-cinq secondes je l’aime, puis je grimpe dans un train. Et je suis de retour. Chez moi.] Aujourd’hui. Toulouse. Reconnaître certaines rues. Reconnaître l’immeuble dans lequel nous passons la première nuit. Y passons-nous la nuit d’ailleurs. En tout cas c’est la première chambre. On me demande si je suis déjà venu à Toulouse. Deux fois, oui. De la première fois, je me souviens de cette chambre, puis de cette maison et de cette cour et de ce fauteuil et de Stereolab. Je me souviens aussi de ‘’Good-bye, sweet romance’’ que j’écoute dans la voiture quelque part dans les Cévennes sur la route entre Vallabègues et Chantelle, automne 2002, c’est la fin de notre histoire, est-ce que je le sais en écoutant la musique dans la voiture, ou est-ce que je le sais après, quand j’y repense. Je le sais aujourd’hui. Belle fin d’après-midi avec Cécile et Isabelle. Nous évoquons la perspective de travailler à nouveau ensemble. Avec les ateliers théâtre qu’anime Cécile. Avec Isabelle. Avec quelques autres. Avec ce projet-ci : POUR COMMENCER ENCORE. Carole nous rejoint. Nous allons manger tous les quatre au Caminito, trois rue des gestes. J’envoie un sms à mes parents. Je vois Pascal le danseur croisé dans la cuisine hier. Il me parle de la brigade d’action gastronomique à laquelle il participe. Nous rejoignons la cave poésie avec Isabelle et Cécile. Cécile et Isabelle reprennent la route, elles rentrent à Avignon tout de suite après les lectures d’Yves di Manno. Les techniciens du sacré. Les poèmes pour le jeu du silence. Une cosmogonie. Des fragments. Une naissance. Aurelio. Sébastien. Anthony. Les animateurs de la revue Dixit. Serge Pey. La jeunesse qui est là. Les étudiants de Serge Pey. Le lien avec la jeunesse. Les tendres bras d’une jeune princesse. Une photo prise à 8h18, une semaine après, à Nantes, tandis que j’écris ces mots. Tandis que j’écoute For Bunita Marcus. Morton Feldman. Markus Hinterhauser. Toulouse. Retour à la maison en voiture avec Aurelio. L’idée de venir vivre ici. Mais quoi. Quelle fuite encore. Quelle réponse par ma venue à la vie qui m’appelle ici. La vie des autres. La mienne.





16.12.08. Un plan de la ville en poche. Avec un plan de l’espace en poche et un calendrier du temps je ne me perdrai jamais. Je veux me perdre. Je ne veux pas tout perdre. Je veux tout gagner. Je ne veux rien céder. Je n’avouerai pas. J’accepte. Je veux affirmer. Je suis en guerre. Je suis le parfait représentant d’un corps qui refoule sa guerre. Je ne suis pas représentatif. Je suis tout à fait normal. Je suis tout à fait autre. J’ai un plan de la ville en poche et je quitte la maison. Je salue Valeria sur son vélo de l’autre côté de la rue. Elle me demande où je vais, je montre la direction. Je passe à côté de la statue de quel Dieu, arc tendu, pied sur un rocher, Dieu dont le fils de Valeria et Aurelio connaît l’histoire. Je longe le canal qui relie le canal du midi à la Garonne. Un message de Géraldine, il y a six ans, elle est face au fleuve en crue, avec son enfant. Je rejoins un homme qui parle de lui, de lui, de lui, de lui, qui en veut, qui est dans l’action, qui paye les dettes de son père, qui a quelque chose à prouver. Une preuve. Une épreuve. Il donne de l’argent. Il donne de son temps. Il s’invente un nouveau père. Une nouvelle famille. Il donne tout à son nouveau père. Il est porté par la force de son nouveau père. Il est redevable à son nouveau père de la force que celui-ci lui a transmis. Il m’invite à manger à midi. Je refuse. Il insiste. J’accepte. Il m’agace autant qu’il me touche. Je ne saurai jamais enter dans la querelle. J’entre en guerre contre les je ne saurai jamais. J’entre en guerre contre mon propre renoncement. De chacun, je veux trouver la part aimable. Je veux pouvoir aimer chacun. Je suis le fils de Dieu venu pour aimer les hommes. On voit bien dans un esprit par où la folie peut entrer. C’est par l’amour qu’elle peut entrer. Par le désir d’amour. Par nulle autre voie. Par la rage de ne pas avoir été aimé tel que âme et corps estiment qu’il auraient dû l’être. Il a vécu sept ans avec une femme. Il est en pleine séparation. Il est attentif et à l’écoute autant que centré sur lui et son action. Je dis c’est l’impossible que tu veux en voulait séparer l’affectif et le travail. J’ai vécu sept ans avec une femme. C’est la seule fois que ça m’est arrivé. Ça commence sur un pont avec une main qui se pose sur une épaule et je demande pourquoi je fais. Ça commence dans le fantasme d’un viol. Une main qui se pose sur moi et je n’ai pas encore le langage pour demander pourquoi tu fais ça. Un collectif s’est-il jamais constitué sans affectif. Un collectif a-t-il jamais évité pour finir de devenir un substitut de famille. Toujours un maître. Je serai : le maître : qui ne veut pas l’être. Je fais le récit de l’amour collectif. Ça n’existe pas. L’exclusivité de l’amour. Ça n’existe pas. Toute religion est un impossible qui veut rendre l’exclusif collectif. Le dogme et la dictature sont les plaies qui rendent réel cet impossible. L’impossible n’est pas fait pour être rendu réel. Il est fait pour que le réel soit rendu vivable par la lumière d’un idéal. On voit très bien par où la folie peut entrer dans un esprit et dans un corps. En sortant de la librairie où nous avons mangé, car nous avons mangé dans une librairie, là-même où nous avons passé la fin d’après-midi hier avec Cécile et Isabelle, je vais à droite, et lui à gauche. Nous nous disons à bientôt. Se fédérer. Entendre le courage de l’autre. Savoir que d’autres font. Trouver de la force. Donner de la force. Par le faire. Prendre la première à gauche, quitter la rue dans laquelle il peut encore me voir. Passer derrière l’église. Rejoindre la place du Capitole. Marcher vite dans le froid pour me réchauffer. Marcher vers l’est. Passer par les rues des antiquaires. Emprunter le même chemin qu’un autre homme pendant quelques rues. Prendre une photo du consulat de Belgique. La police en arme quadrille un quartier. Le quartier de la préfecture. Les bruits des talkie-walkie. Les manifestations des lycéens. Marcher jusqu’à la rue de la Colombette. Jusqu’au canal du midi. Ne pas aller au-delà. Demi-tour. Une librairie tenu par deux frères. Le T.N.T. Une A.G. dans le T.N.T. Précaires. Chômeurs. Intérimaires. Intermittents. On ne lit pas pendant une A.G. me dit un type qui passe. J’écoutais ce qui se disait, tout en lisant. Ta parole d’interdiction vient m’empêcher d’entendre. Ils s’engagent. Ils débattent. Ils ne sont pas là pour les mêmes raisons. Comment vont-ils faire pour y arriver ensemble. Ne pas penser pour soi mais pour tous. Ne pas penser pour tous mais à partir de l’idée du juste pour tous qu’on a en soi. Rejoindre la maison. Dernière soirée dans la maison. Vouloir faire un pâté aux pommes de terre. Le plat de ma terre. Le plat de la mère du père. Lucie. Dire merci. Faire à manger. Pour dire merci. Je n’ai participé à rien dans la maison. Pendant tout mon séjour. Durant toute ma vie. Financièrement. Il n’y a pas que l’argent, petit. Il n’y a pas que l’Amour. Il y a quoi d’autre. J’ai donné autrement. Est-ce que j’ai donné. J’ai payé de ma personne. Autrement. Je vais payer. Je veux aller acheter à manger, je veux participer. Mais participe, vas-y, qui t’en empêche. Ils sont à l’école, me dit Leon quand j’arrive. Attendons qu’ils rentrent. Je monte dans la chambre. Je travaille les fragments-8 de Incarner. Quand je les entends rentrer, je descends. Nous allons avec Aurelio jusqu’à l’épicerie tenu par un iranien. Je fais le pâté aux pommes de terre. Leon va chercher Frida. Il y a des huîtres à manger. C’est un repas de Noël. C’est une sensation de Noël. Petit famille recomposée. Un père, une mère, je suis le frère de qui, de Aurelio ou de Valeria ? De Aurelio. Je sens l’attention que demande à ma droite la femme de mon frère. Toute demande d’attention est traduite en désir. Est-ce que traduire c’est toujours mal traduire. Se défaire du mal. Traduire : c’est dire dans une autre langue. C’est un or tout autre. Le repas, tous les cinq. Mes grands-parents, mes parents et moi. Le repas tous les cinq. La sainte famille, ils sont cinq. Il y a deux fois un père et deux fois une mère, et je suis le corps de leur lumière. Et l’un de mes deux pères est mon frère. La mère est en face de moi. Nous parlons d’amour. Nous parlons d’événement. Nous mangeons des huîtres. Nous mangeons des pommes de terre. Pomme. De la discorde. Terre, commune. Tu en seras l’héritier et le prochain maître. Douze jours plus, les bombardements aérien sur la bande de Gaza. La fin de la soirée avec Aurelio. La discussion à propos de la nécessité de dater les jours, les textes, ceux-là oui, ceux-la non. La date de ma naissance. La date de naissance de chaque texte. La date du présent de chaque texte. Je ne suis pas l’auteur de ma venue au monde, aussi je ne signe pas cette date. Cixous qui parlait de signer les textes dont elle est l’auteur : de son nom associé à la date de l’écriture du texte. N’es-tu pas responsable de ta venue au monde demande Aurelio. N’es-tu pas traversé par des phrases. Je suis traversé par une infinité de phrases. Par toutes les phrases possibles et je comprends la montée de la folie dans l’impossibilité de déterminer quelles phrases plus que quelles autres il m’est nécessaire de dire, d’affirmer, de porter, d’assumer, phrases dans les conséquences desquelles je m’expose à vivre. Je signe les phrases que je dis et affirme et porte et assume, et dans les conséquences desquelles je m’expose à vivre. Et pourquoi lire demande Aurelio. Pourquoi faire des lectures. Pour ceux qui sont là. Pour la transformation et le don par le présent. Pourquoi faire des livres par le corps. Pour ceux qui ne sont pas là. Pour la transformation et le don par la durée. Dans le temps. Et la distance. Pour ce que la lecture incarne de l’écriture qui continue d’être et de se faire. Pour ce qu’elle annule du temps de la séparation entre écriture-solitude et don à l’autre en sa présence. Pour la compréhension nouvelle du texte tandis que la lecture a lieu. Pour et par le lieu. Par la circonstance particulière qu’est chaque lecture. Pour une nouvelle première fois du texte : seule possibilité pour que le don ait lieu. Condition pour être soi-même dans la découverte, dans le plaisir, dans la joie de la découverte. Ce n’est pas le texte que je donne, c’est le présent par le texte. Dans ce qui [m’]arrive par le lieu. par notre présence commune.





17.12.08. Avant de prendre le train, passer avec Aurelio au hangar. Un théâtre. Voir la salle. Voir les salles et tout de suite penser à comment ne pas être dans l’espace principal, mais dans une salle à proximité de l’espace principal, à côté. Un autre espace dans lequel je serais, depuis lequel je parlerais, sans être vu de ceux présents dans l’espace principal. Penser aussi à être dans l’espace principal, et commencer tout au fond, et très lentement, marcher vers le public. Le train de 11h27 n’existe pas. J’attends à la brasserie. Je prends un café puis un sandwich avec une assiette de frites. Le dos de la femme assis devant moi. La nuque dégagée. La nuque nue de la femme à la cave poésie, l’autre soir. La femme qui fait du tricot à la cave poésie, l’autre soir. Un train qui part à 14h00. Le trajet. Travailler les fragments 8 de Incarner. Arriver à Nantes. Rentrer de la gare à pied. Travailler les fragments 8 de Incarner, les envoyer avant minuit. Dix minutes avant minuit. Quelques échanges mail avec Franck Doyen, en même temps. Publication des fragments 2 et 4 dans la revue 22MdP. Je lui demande de bien noter la date. Les textes ont été travaillés il y a plus d’un an. Lire le mot ‘’normographe’’ dans un article relatant une lettre écrite par quelques dangereux terroristes. Lire dans le train Slogans de Maria Soudaïeva et penser à des comédiennes ou des non-comédiennes pour dire Slogans de Maria Soudaïeva dans la rue, dans la ville.





18.12.08. Dire le chemin. Dire aujourd’hui. Le matin. Aucune trace du jour avant la sortie le soir, direction centre chorégraphique. Rencontre avec les gens du Terpan. Se demandent pour quelle[s] raison[s] il faut se dépenser. Pour quelle[s] raison[s] il faut, se demandent-ils, physiquement se dépenser, produire du mouvement. Jusqu’à se risquer soi-même, disent-ils. À l’étroit dans l’écriture, disent-ils. À l’étroit entre ces quatre murs. Une salle de théâtre. Une feuille de papier. Un écran d’ordinateur. Vaste monde. Réalité des corps. Un espace, où tout est arrangé pour que le regard se concentre sur un point. Un espace, où chaque point est pris en compte. Un espace, où chaque point de l’espace est ouvert à l’accueil afin que chacun puisse être entendu. Un sentiment de rivalité. Un sentiment de [trou noir] [blanc mémoire]. La salle efface le spectateur. Pourquoi cette langue. Le regard du spectateur. Chaque corps est responsable de l’acte dans lequel il est engagé. Faire que chacun puisse tout voir : est un chemin où la folie a sa chance. La société du non-spectacle, ce serait quoi. Une société sans spectateur. Une société, où tous nous sommes acteurs. L’origine commune des mots acteur et auteur. Le leurre de l’origine commune. La vivacité d’un rapport présent. Auctor / actor. Celui qui fonde et établit / celui qui agit. Celui qui fait croître, qui augmente / celui qui fait, qui dépense. Édification / énergie. La réalité d’un corps au travail. La chute. Les corps morts. La course. Le regard. Le goût. La salive. Combien de temps je peux tenir. Non. Non pas combien, mais quoi. Quoi je peux tenir. Quelle idée. Quoi du temps. Quelle idée par mon corps dans le temps je veux tenir. Quelle idée du temps par mon corps je veux tenir dans le temps même. Vouloir. Pas pouvoir. La preuve par la durée. Rien à prouver. Tout à faire. Nulle équation juste déjà écrite, nul crime commis dont il faudrait que ma vie réponde par la preuve ou l’épreuve. L’épreuve photographique : est la trace d’un instant mort. Il y a : un cadavre. Je veux la phrase vive. Pour la durée. Regardez, regardez, ils ont des traces sur le corps, regardez, regardez, ils ont les traces des coups d’hier, les heurts d’hier, les plaies et la souffrance du jour, regardez, regardez. Disent-ils. Pour qui tu joues. Pourquoi est-ce que tu joues encore. Pour qui tu lies. Quand il n’y a personne à te voir jouer, que lies-tu encore, qui te fait tenir, dans la durée, seul. Ce que ça devrait être, ce que ça n’a pas le droit d’être. Disent-ils. Le moment où tu es le plus juste, c’est quoi ce moment, c’est quand ce moment. À la recherche de ce moment. L’expérience permanente de ce moment. Une jeune femme, assise à ma gauche, dedans, qui passe à mes côtés, dehors, tandis que je rappelle l’amie de Soizic qui n’a finalement pas profité de mon appartement en mon absence. Parler de ce qui a eu lieu.





19.12.08. Les jours vécus sans moi. Les jours vécus sans toi. Les jours vécus sans nous. 365 jours, moins les jours du 16 novembre jusqu’à 21 juillet = les jours vécus sans moi, sans toi, sans vous, sans nous, sans eux. Aucune trace du jour avant l’arrivée de Frédéric vers 19h00. Soirée consacrée à la revue. J’ai fait un curry. J’ai acheté des fromages. Il y a un très bon gaperon. L’odeur de l’ail. Le goût de l’ail qui devient comme l’odeur du vomi, un jour, d’un seul coup, raconte Frédéric. Le goût que prend la peau de la femme aimée quand elle a mangé de l’ail. Mais tu ne vas pas commencer à fumer maintenant. Tu as l’air fatigué. L’attention que tu portes à l’autre. L’attention de l’autre à ton égard. Une proposition de travail rémunéré pour janvier. De la réécriture. Un souvenir qui revient. D’avoir écrit ‘’travail rémunéré’’ : pensée vers Morgane. Lieu unique. Déposer Du nerf à la librairie Vent d’Ouest en centre ville puis à celle du Lieu Unique. Aller voir Ann’Lise après son lapin de l’autre jour. Voir Morgane dont je me souviens alors du visage, du regard, mais pas du nom. Nous avons fait un déménagement ensemble. Elle vient voir si elle pourrait travailler ici. Un temps. Gagner de l’argent. Se faire connaître en tant que graphiste. Être dans le vacarme. Je lui parle de l’endroit. Elle dit : tu reviens. Je demande si elle savait que j’étais parti. Elle dit non. Elle évoque : la résidence en octobre, ici. Je lui parle du lieu, de l’entreprise, de la négation de l’être. Nous allons dans l’expo. Gaëlle lui donne des contacts. Morgane me demande mon prénom. Morgane écrit mon prénom sur la couverture du programme du lieu. Morgane me donne sa carte de visite. Morgane cherche Du nerf déposé sur un présentoir de la librairie, là-bas, au fond à gauche. La crémaillère chez Sandrine a lieu le 9 janvier. Nous nous reverrons là. À très bientôt. Pensées vers elle les jours suivants. Les croquis que fait Frédéric quand il explique quelque chose.