[11.07] [3ème conférence].
Il y a des lettres et des mots que je prononce. Et dont le seul son provoque le sens. Il y a. L’existence en moi de plusieurs langues. Il y a. L’existence en moi de plusieurs sens, et d’une seule langue. Il y a. La nécessité de traduire. Afin que la parole que j’articule soit la mienne. Il y a. Ma vie, à l’intérieur d’une seule langue. Il y a. À l’intérieur de ma vie. Une seule langue. Il y a. À l’intérieur de ma langue. Une seule vie. Il y a. Ma vie. Traversée par d’autres langues. Et, parfois, je reconnais des phrases. Parfois, je lis des phrases pour la première fois. Parfois je lis des phrases dans une langue inconnue. Je ne comprends pas. Je. Ne. Comprends. Pas. Avec ces quatre mots le monde est cul par-dessus tête.

Parfois je lis des phrases dans une langue réellement totalement inconnue. Et je me dis alors que la phrase est un corps. Je me dis que la phrase est une mémoire. Je me dis que la phrase est intraduisible par le connu d’une langue qui serait déjà formée.

À la fin, oui, je peux lire. À la fin, je comprends la phrase. À la fin, je sais que la phrase était tout simplement inscrite dans mon corps depuis le commencement. Maintenant que c’est la fin : je sais la lire. Maintenant que c’est la fin : je peux la dire, même. Je peux la lire, l’entendre, la comprendre, je peux la donner maintenant. Maintenant, tout peut commencer.

Ici, chacun qui viendra repartira avec une phrase. Chacun ici qui viendra repartira avec une lettre, avec un mot, avec un souvenir, avec un espace, avec une pièce, avec une porte, avec une personne. Chaque lettre est associée à un mot. Chaque mot est associé à un souvenir. Chaque souvenir est associé à un espace. Chaque espace est associée à une personne. Chaque personne est associée à un corps. Ici. Nous sommes combien

Ici. Je suis seul. Et je reviens. Je ne suis jamais venu ici. Pourtant, je reconnais. Je reconnais j’ignore quoi dans ces objets là que je pense n’avoir jamais vus. Dans ces objets là que je vois et dont je cherche à retrouver le souvenir. J’oublie : tout. Si j’oublie : je ne reviens pas. C’est comme ça que je veux que ça ait lieu. Si j’oublie : je viens, sans revenir. C’est exactement comme ça que je veux que ça ait lieu. J’oublie. Mot à mot. J’oublie chaque mot. J’oublie. Lettre à lettre chaque lettre. Si j’oublie l’alphabet commun, est-ce que je peux venir, encore.

Je découvre. Chaque mot. Je découvre. Chaque lettre. Je découvre l’espace. Je passe de pièce en pièce par chaque porte pour la première fois. Je découvre chaque corps. Je ne reconnais. Plus rien. Je deviens fou. Vite. Un souvenir. Vite. Le souffle d’un enfant. Vite, vite. Une image. Un son. Vite. Le souffle de l’enfant. Vite.

Je vois l’enfant. Il court vers sa mère. Il a une enveloppe qu’il tient dans sa main droite au bout de son bras tendu. Il est joyeux. Il sourit. Il dit à sa mère en lui tendant l’enveloppe : maman, maman, on vient de recevoir une lettre de l’être. Sa mère lui répond eh bien il était temps mon enfant. Allons fêter ça tous les trois.

Une lettre perdue est-elle une lettre manquante.

J’ai perdu la clé. 1 : je fouille dans mon sac, je ne la retrouve pas ; 2 : je suis face à la porte, je ne peux pas entrer ; 3 : je n’arrive pas à lire le nom écrit sur la porte ; 4 : je me souviens que j’ai donné la clé à quelqu’un ; 5 : j’ai oublié à qui j’ai donné la clé. 6 : je m’assois, et je cherche à qui j’ai un jour donné ma clé ; 7 : je cherche. C’est tout. C’est tout pour aujourd’hui.