''Commencer'' : hier (matières du chantier d'alors : ci-dessous)

Aujourd'hui : AVOIR LIEU.





SOMMAIRE :


1. Novembre 2007

2. Été 2008

3. Novembre - décembre 2008

4. Janvier - juillet 2009

5. Chant neuf

6. Conférences pour une Genèse

7. Odyssée

8. Quelqu'un













Les premiers jours – [octobre 2007]




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[Textes extraits du livre Vers un chant neuf]




Jour 1. Quitter la maison. Aller dehors. Lire dehors. Lire dedans. Faire le résumé. Ecrire dedans. Dehors. Faire le résumé. Ecrire avec. Ce qui fut. Ecrire avec. Ce qui revient. Avec ce temps. Lorsque nous étions ensemble. Dans la maison. Avec ce temps, seul, avant. Premier temps. Première fois. Premier jour. Premier mot. Seul. A nouveau seul. Aujourd’hui. Dehors. A nouveau seul. Dedans. Ecrire. A même le livre des temps d’avant. Ecrire ensemble, dans la maison. Là, nous avons vécu. Là, à même le livre, ensemble. Nous avons lu. Ensemble. Qu’avons-nous vu. Qui as-tu rencontré, depuis. Quoi vit encore, aujourd’hui.


Avec ceci. Je continue.


Marchant vers la pointe de l’île. Reliant le chant un au chant neuf. Le livre à la main. Reliant le livre à la maison, par ma seule marche. A la maison, relisant le livre. Maison première. Maison du jour. Maison éphémère. Chaque jour, affichant aux murs les projets s’écrivant à la suite de ceux de la veille. Effaçant, recouvrant, complétant. Aujourd’hui. Dehors. Dedans. Je lis, je relis, je sors. Je reconnais. Je salue. J’ignore. Je cherche. Je marche dans la ville. Je ferme la porte. Je sors. Je descends. Je tourne à gauche. A gauche, encore. Je descends la rue qui descend. Je tourne à droite. Je longe la rivière. Je prends le petit pont. Je marche sur l’île - artificielle. J’arrive au monument. Mémoire des morts. Je fais le tour du monument. Je compte les noms inscrits sur le monument. Je cherche un nom. Je cherche le nom de celui qui avec moi fera le livre. Je pense à lui. Je cherche son nom. Je cherche le nom d’un vivant dans les noms des morts. Je reprends la marche. Je pense à écrire. Je pense auteurs vivants. Je pense auteurs morts. Je pense. A écrire. A des auteurs vivants. Je pense à écrire. A des auteurs morts. J’entre dans une bibliothèque. Je lis les dix premières pages d’un roman de Y. Publié par C. Je marche dans la ville. Avec les auteurs morts. Je marche dans la ville. Avec les vivants. Je marche dans la ville-mémoire. Je croise le voisin qui habite en dessous de chez moi. Est-ce qu’il me reconnaît. Je le salue. J’entre dans une librairie. Est-ce qu’il me reconnaît. Mercredi. J’ai faim. Vendredi. J’ouvre un livre.


Je lis : la tristesse de Y. Publiée par C. Je lis comment Y prend conscience d’une question, sans se sentir capable de la résoudre. Dit-elle. Je lis comment Y ne sait plus vers quoi se tourner pour en sortir. Comment Y voit la question se figer, et menacer d’être éternelle.


Le téléphone sonne. Une voix. C’est mon père. Est-ce que ça va. Oui. ça va. Ça va mieux. Je sors de la bibliothèque. Je t’embrasse. Je traverse le fleuve. A bientôt. J’arrive au bout de l’île. Je voulais m’arrêter là, mais non. Rien qui donne envie de rester aujourd’hui. Je continue. La fatigue vient. La lassitude gagne. Je marche sur l’île. Dans le ciel, une nuée d’oiseaux. Des milliers. Une masse en mouvement dans le ciel. Chaque oiseau est visible. Flux de la masse en mouvement. Sans arrêt. Je me casse le cou pour regarder la masse en mouvement. Je suis des yeux chaque point visible de la masse. Je vois les taches noires, se détachant sur le ciel, bleu nuit. Je vois la nuit qui gagne. Je traverse le fleuve. Je suis de retour chez moi.


J’étale au sol un plan de la ville. Je regarde l’île alors comme vue depuis un point du ciel. Je regarde la pointe ouest de l’île. Je vois une bouche. A la pointe ouest de l’île, je vois une toute petite bouche. Comme au bout d’un énorme corps de poisson, échoué au centre de la ville, et, sans nageoire.




Jour 2. Aujourd’hui, les vivants fêtent leurs morts. Aujourd’hui, le consul vit son dernier jour. Aujourd’hui, tes parents fleurissent leurs tombes. Aujourd’hui, tu reçois une carte postale de T écrite à l’autre bout du monde. Sur la carte, l‘animal gueule ouverte qui montre ses dents et ricane, semble vouloir te faire comprendre la réalité d’un certain danger à vivre, où que tu te trouves. Dehors les cloches des églises sonnent à la mémoire des morts. Et les travaux sur le chantier de l’hôtel de police continuent. Le bâtiment pousse. Les fentes noires des futures fenêtres sont des trouées obscures dans le gris du ciment, et dans la nuit, tôt le matin, ou vers le soir, le bâtiment est vivement éclairé par de puissants projecteurs. Tu penses à ces maisons que certains bâtissent et où d’autres vont vivre. Tu penses à ces mots que tu écris et que d’autres vont lire. Tu penses. Etre à la recherche d’une forme possible à penser par l’autre. Tu penses. Etre à la recherche d’une forme passée par toi. Tu penses. Habiter une forme pensée par un autre. Tu penses être bâtisseur. Tu penses à bâtir une ville. Tu penses accueillir ce qui vient. Ceux qui viennent. Tu penses. Je suis un non-bâtisseur, et pas même un guerrier. Tu penses être à la recherche d’une forme gardant en mémoire un combat.


Je ferme les yeux. Je vois une école où je ne suis pas allé. Je ferme les yeux. Je vois une école où je suis allé mais où rien ne fut retenu. Je vois un maître absent qui n’a pas fait le voyage pour venir nous parler. Je me vois devoir parler à sa place. Je tremble. Je ne parlerai pas à sa place. Je tremble. Je parlerai depuis le seul peu que je sais, sachant sans réserve ceci : ce peu est un monde dont je puis être fier. Un monde qui croît à mesure que je l’explore. A mesure que je le comprends. A mesure que je l’invente sans comprendre ce que j’invente d’encore non-exploré. A mesure. J’efface les noms. Je dis. Tout, sans les noms. Je dis. Tout, sans les dire. Sans eux, je fais le récit. Avec eux, en moi, je fais le récit au présent du jour. Au passé, dans les pierres. Je dis la mémoire des guerres. Je lis : toutes les plaques commémoratives vissées sur les murs de la ville. Je lis la naissance des mondes. Je souhaite l’anniversaire des entrées en guerre. Je souhaite l’anniversaire des jours de naissance. Je souhaite l’anniversaire des premiers jours de chaque bataille. Je dis, ici vécut, ici mourut. Je dis, ici je vis. Le téléphone vibre. C’est la réponse de S. Nous nous voyons vendredi.


A droite, deux escaliers grimpent vers les hauteurs. A droite, un panneau indique l’accès au plateau. Est-ce un théâtre. C’est une place. Ouverte aux vents. Ce sont les hauts plateaux avec un oiseau qui plane dans le ciel. C’est sa proie au sol, dans les herbes hautes. C’est l’été. C’est le jour de ta naissance. C’est à droite deux escaliers, côte à côte, l’ancien et le nouveau. C’est une palissade qui les sépare. C’est un lieu où l’on peut vivre. Un lieu où l’on peut venir. C’est un espace, où ceux qui vivent et ceux qui viennent appartiennent au même monde. C’est une tour, sombre, au centre de la ville. Tu la vois quand tu es loin. C’est un signe de puissance pour rien. C’est une fierté menaçante de bête. Tu vois. Tout ça. Tu sais. Tout ça. Tu regardes. La tour. A ta droite. Cela fait vingt ans apprends-tu que l’on n’accède plus aux derniers étages. Trop dangereux. Ce sont vingt années à vivre sans danger. Ça te fait quoi.


C’est le soir. Tu manges au restaurant. Tu vois un enfant marcher vers un chien. Il dit, en te regardant : il est marrant ce monsieur. Je souris à l’enfant. La salle du restaurant est dans mon dos. Les fenêtres donnant sur la rue sont devant. J’ai marché tout le jour dans la ville. C’est le matin, maintenant. C’est deux mois plus tard. J’écris cette phrase. La forme impossible que je m’escrime à penser, je ne peux la penser seul.




Jour 3. C’est la fin du jour. Je marche le long de la rivière, au bord de l’eau, en direction du nord. Il y a des maisons. Des péniches. Il y a des familles en promenades. Il y a des canards. C’est le lendemain du jour des morts. Les vivants marchent en direction du nord. Des flux de population se déplacent en direction du nord. La nuit tombe. Bientôt le noir. Vous avez la carte du magasin ? Non. Vous avez la carte du territoire ? Non. Vous avez vos papiers ? Non. Ne montre jamais tes papiers. Efface tous les noms. Longe le cours de l’eau. Tourne à droite. Deviens invisible. Guette les panneaux. Lis les plans de la ville. A proximité du stade, ne te laisse pas impressionner par sa masse obscure. Sa menace. Monte dans un tramway.


Le tramway démarre en direction du centre. Je marche dans les rues. Les clochards sont mes cousins. Je lis dans les rues. J’entre dans les bibliothèques. Des clochards meurent dans les rues. Je m’endors dans un lit. Le tramway part dans six minutes. Je lis dans les tramways. Ici il fait chaud. Les lieux publics sont chauffés. Les clochards ne sont pas mes cousins. Les sans visage dans la ville, je ne suis pas même conscient de leur existence. C’est la fin du jour. J’avale les alcools forts. J’attends les amis au comptoir. Je mange avec eux. Si je disparaissais, là, soudain, ça changerait quoi.


Question 1. Comment es-tu arrivé ici. Question 2. Pourquoi y restes-tu. Question 3. Quoi t’en ferait partir.




Jour 4. Je recommence. Je me réveille. Je sors. Je suis dehors. Je marche. J’ouvre les yeux pour y faire entrer le monde. Je marche. J’ouvre les yeux pour inverser le mouvement. Je fatigue. Je rentre. Je refais le parcours. Je le refais en aveugle. Tout me revient. Je suis sur un vélo. La rue descend. Je tourne à droite. Je longe la rivière. Ce vélo ne m’appartient pas. Je dois rendre ce vélo à qui il appartient. Je longe la rivière. Je pourrais détruire le vélo. Je pourrais le rendre en morceaux, hors d’usage. Il faudrait que je rende les morceaux. La rue descend. Je tourne à droite. J’attache le vélo en bas de l’immeuble. Voilà. C’est fait. Maintenant. J’ouvre un compte en banque. Voilà. Maintenant. Je marche dans la ville. Je croise un psychanalyste. Il a du ventre. Il a une chemise orange. Je pense aux amis lointains. Je pense aux amis proches. Je pense les amis proches vivent loin. Je le pense encore. Je pense les amis anciens vivent loin. Les amis d’aujourd’hui, proches lentement. Certains deviennent les amis d’aujourd’hui. Le deviendrons-nous. Le sommes-nous déjà. Je pense pauvrement. A chaque pas. Lentement. Je pense. A relier le verbe savoir et le mot après. Je pense. A relier le verbe connaître et le mot pendant. Je pense à être seul. Et. Avec. En quoi tu crois, me demande S.


En quoi je crois.


Je crois au réel de ce qui vient dans ma terreur et je marche et traverse une place.


Ici. C’est la place de l’ancien palais de la justice. Ici. Ils bâtissent un hôtel. International. A la place de l’ancien palais de la justice. Ici. Ils bâtissent un hôtel international. Avec espace culturel intégré. Qui ça : ils. Je marche. Je longe le mur de l’ancienne prison. Ici. A la place de l’ancienne prison. Ils bâtissent un hôtel international. Avec bonne nuit, les petits. Bonne nuit intégrée. Il est midi.


J’entre dans la bibliothèque. Je m’assois. Je cherche. Un autre point de vue. Je cherche. Un autre fauteuil. Un autre livre à ouvrir. D’autres mots à entendre. Je voudrais. Comprendre autrement. Devant moi, un homme emballe son ordinateur portable dans une serviette en coton. Je vois de l’eau. Je vois du sperme. Je vois des écrans, des vitrines, des corps. Je vois des lieux propres, des couleurs pastels, des couleurs fraîches, des objets à vendre, pratiques, simples, sains, variés, gourmands, économiques, équilibrés. Et pour vous, ce sera quoi. J’évite. Une rue dans la ville. J’évite. Une femme dans la ville. Est-ce qu’elle habite encore ici. J’entre dans un bar. J’ai rendez-vous avec S. Je réponds à sa question.


Ce. En quoi je crois. Passe par ce que je vois. De ce que je vis. Et. Passe en toi. J’ignore comment.




Jour 5. Je reviens à la première table. C’est le matin. Le soleil aveugle déjà. La table est contre le mur, en partie à l’ombre. J’écris. La face émergente de 7h53. J’écris la face émergente de 7h54. Je prends une photo. Tu verras, je te la montrerai. C’est le matin. C’est le ciel encore sombre, blanchissant. C’est l’arrivée du jour. C’est visible à l’œil nu. C’est l’avancée du temps, visible à l’œil nu. Il me faudrait. Un œil nu pour voir la venue du jour. Pour l’écrire. Pour le faire un jour venir. Pour faire la lumière un jour sur le lever des jours. Pour regarder l’épreuve. Traits blancs et roses dans le ciel bleu pâle au-dessus de l’église. Masse sombre. Là-bas. 8h09. Une photo. 8h16. Une autre. 8h21. Fin de la pellicule.


Je quitte la maison. Je descends les escaliers. Je tourne à gauche. Je marche jusqu’au tramway. Je m’arrête un instant devant un nouveau chantier. Je me souviens des maisons qui se dressaient là. Disparition des maisons anciennes. Terrain nettoyé. Terre plane, aujourd’hui vide. Sur un panneau, une image montre l’immense et nouvelle bâtisse qui bientôt va se dresser là. Disparition des maisons anciennes. Dans l’une d’elles, ici, j’ai failli vivre. Oui. Il a vraiment failli vivre, savez-vous. Un peu plus, et il existait. Je parle de toi. Qu’est-ce qui a manqué pour que tu existes. Il a manqué. Que je sorte du récit. Et je monte dans le tramway. Je m’assois à côté de trois adolescents. Deux garçons, une fille. C’est elle, la reine. Ce sont des enfants. Elle est déjà la reine. Je descends. Je prends un bus. Je parle un quart d’heure à l’homme à la chemise orange. Je le paye. J’achète un journal écrit par des philosophes. Etre digne de son nom, c’est quoi. Etre digne de son titre. Et. La puissance de vérité toujours inversement proportionnée à sa visibilité. Je marche. Je regarde la maison survivante, seule, au bord du fleuve. Tout autour, tout a été rasé. Derrière elle, la masse énorme et noire du nouveau palais de la justice. Je marche. Je rentre chez moi. Je ne me souviens plus du chemin parcouru. Je mélange tous les retours. Je convoque la pensée de tous les trajets. Je décris les trajets par la seule pensée du trajet. Je décris les trajets par leur seule possibilité. J’écris les trajets. Par les seuls souvenirs de l’existence des lieux. Sans sortir de chez moi. Je n’ai jamais quitté cette maison. Je croise D. Elle me montre la fenêtre de chez elle, juste là. Nous marchons jusqu’au tramway. Je suis en train de travailler. Je m’assois derrière la table. Je marche à ses côtés. J’écris. Le secret de mes pas aux côtés des tiens. Je marche. Seul. Attention. A ne pas prendre froid. Je poste une lettre. J’écris. J’écris une lettre. Attention. J’écris tu vas payer. J’écris tu dois payer. J’écris. Le premier conflit de ta vie, c’est quoi. Moi ? Moi j’avais un enfant, ils me l’ont mis sous les pieds : un pas de plus, et je lui marchais dessus, je le tuais, ce fut cela : mon premier conflit : ce pas suspendu, et non cette guerre de vingt ans qu’au lieu de ce pas je fis. Le lieu, de ce pas. Tu m’entends. Je t’aime. Je ne sais pas ce que ça veut dire. Ça m’est venu comme ça. En marchant. A tes côtés. Le tramway file. Je rentre chez moi. Je ressors. La nuit est tombée. Je tourne à gauche. Je traverse la rivière. Je marche sur le pont, je tourne à gauche, virage à droite, montée à gauche, tout droit, jusqu’à la grille, je tourne à gauche. J’attache le vélo en bas de l’immeuble. J’attache le vélo dans le dos de D. Je m’assois à la place L 42. Je vois G, je vois T. Je ne leur fais pas signe. Je les regarde. Le noir se fait dans la salle. Retour chez moi.




Jour 6. Je marche le long de la rivière. Il se souvient de mon prénom. Je me souviens du lieu où l’on s’est vu. Il me demande si je me ressource. Je lui demande où est la source. Il me demande si j’hésite. Je lui réponds que je travaille. Il demande : est-ce que tu travailles en marchant. J’hésite à répondre. Il demande : est-ce que tu hésites en marchant. J’hésite à répondre : 1. que je marche dans un projet sur la mémoire absente ; 2. que je travaille les corps au présent de leur absence ; 3. que j’interroge les rouages de certaines machines travaillant les récits de nos vies. J’hésite à répondre. Et toi. Tu fais quoi. Je reprends la marche. Au sol, une jeune femme assise, en tailleur, en train de lire. Un jeune homme, plus loin. Et toi. Tu fais quoi. Plongé dans ta lecture. Je marche. Je ne peux pas écrire. Je ne peux pas. Ecrire en marchant. Je lis. Je m’arrête pour écrire. Je continue pour lire. Je reprends la marche. Plus loin, je croise une femme. Je la connais. Elle me voit. Ces yeux me voient. J’en suis sûr. Elle ne me dit pas bonjour. Pourquoi. Ne dit-elle pas bonjour. Je te parle. De ce que je vois. Je te parle. De ce que j’ai vu. Et je veux. Te dire. Comment par le regard une violence telle de silence peut advenir. Je veux. Te dire. Comment ton silence me chasse et comment j’invente et creuse dedans. Je veux te dire comment j’écris. Comment c’est à toi que j’écris. Dans le silence. Je veux te dire comment je te cherche. Comment je cherche à trouver. A te trouver. Une excuse. Une bonne excuse. Un jeu de cartes. Perdu. Je veux te dire. Comment je cherche une carte, une seule, pour me repérer dans le monde. Ceci n’est pas un jeu, n’est-ce pas. J’entre dans un bar. Je mène une enquête. Voilà, c’est tout. Je t’envoie des informations. Je te fais du charme. Je te raconte la marche sur l’île, un matin. Je te dis : moi, ce qui m’intéressait, c’était le lever du jour, et surtout : travailler les gammes de gris, avec la lumière descendant sur le sol, en pensant, à toi. Je sors du bar. Je marche dix mètres. Les portes du cinéma sont fermées. J’attends avec d’autres. Les portes s’ouvrent. J’entre dans la salle. Je m’assois dans le fauteuil, au cinquième rang. Je vois G, je vois T. Ils viennent s’asseoir à côté de moi. Nous nous parlons. Nous nous trouvons, sans nous chercher. Nous sortons. Nous traversons la rue. Je bois deux rhums. Je parle du premier amour. Je parle du plaisir à ne pas connaître le regret. Je voudrais. Ne pas. Te faire pleurer. Alors comme ça toi tu fais pleurer les femmes. Je revois, très bien, la rue où nous marchons. Je me souviens, très bien, comment je te mens.


Ce mariage était une blague. Mais le savions-nous, alors, le violent sérieux travaillant en secret son chemin. Je bois une menthe à l’eau. Je prends des décisions importantes. Je suis un monstre. Je pose une question. Tout le monde me regarde. Alors comme ça toi tu te ressources. Elle ne me dit pas bonjour. Elle attend un enfant. Est-ce que nous sommes déjà trois.




Jour 7. Le chemin. Est une ligne droite qui va de chez moi jusqu’à la scène. Le chemin. Est une ligne droite qui va de chez moi jusqu’au fauteuil central au cinquième rang face à la scène. Le chemin. Est une ligne droite qui va de chez moi jusqu’aux joues de l’amie que j’ai du plaisir à revoir. Le chemin. Est un segment de ligne par lequel je suis de retour chez moi. Le chemin. Est sans image. Le chemin. Est dans le silence et dans le blanc d’une feuille impossible à lire à la place d’une autre. Le chemin. Est sur le trottoir de droite avant l’escalier. Le chemin. Est dans le regard à gauche et la surprise qui s’en suit. Le chemin. Est dans le temps qui s’écoule avec l’amie retrouvée. Le chemin passe par le fleuve. Se jette dans la mer. Et trace les mots source, origine, vite : faire quelque chose ensemble, un jour. Avec la peur. Avec la faim. Avec le froid. Son père ? Son père était géomètre de l’empire. C’est lui qui lui fournissait le papier sur lequel il écrivait. Il écrivait : au dos des cartes de l’empire que dessinait son père. Il écrivait des récits de fantômes au dos des cartes de l’empire dessiné par son père. Et. Toi. Toi de qui je reçus le cœur quand j’attendais celui de celle. Toi. Toi à qui j’adressais les mots quand elle n’en voulait plus. Toi. Qui me porta. Qui les porta : ces mots venus d’elle et de moi. Ces mots dont je savais, les écrivant, que tu les porterais. Tu les portas. Ces mots, qui vinrent d’elle et de moi, mais qui allèrent vers toi. Et. Le chemin ne se lit que dans un sens.




Jour 8. Je ne sais pas où je veux aller. Je ne sais pas où je vais aller. Je ne vais pas rester ici. Je vais partir. Je pars. Je sors. Je quitte cette ville que j’habite et dont j’ignore le nom. Je traverse un immeuble en construction. Je marche au bord de la rivière. Je m’arrête au bord de l’eau. Je n’aurais pas dû boire ce verre de vin avant de partir. Plus j’avance, moins j’ai envie d’avancer. Plus il avance, moins il a envie de rentrer. Plus j’avance, moins je trouve les raisons pour avancer. Plus il rentre, plus les raisons du retour s’enfuient. Je sors. Je marche. Sans savoir vers où. C’est bon. Je guette. J’attends. Je me perds. Je regarde un escalier qui s’enfonce dans l’eau. C’est beau. C’est accessible. C’est là. Je reprends la marche. J’abandonne. Je rentre chez moi. J’essaye à nouveau. C’est le lendemain. C’est mieux. Je marche plus vite. Il fait froid. Je fredonne l’air d’une vieille chanson. J’ai envie. J’ai très envie. Tu me donnes envie. Tu me fais envie. J’ai très envie de toi. Tu veux qu’on se voit plus souvent. Je dis. Il y a quelque chose que je ne peux fondamentalement pas te refuser. C’est quoi. Le mot pour dire ça.
































Chant neuf - [juillet 2008]




Trois textes:
Chant neuf - [06.07.08] ... [30.11.08] - Chant neuf ... paru dans le n°3 de la revue LGO.
Chant neuf - [07.07.08] ... [04.06.09] - Chant neuf ...
Chant neuf - [19.07.08] ... [30.11.08] - Chant neuf ... dans le n°3 de la revue LGO.



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Chant neuf - [06.07.08]


Tu t’installes. Tu viens d’arriver. Vous venez d’arriver. Vous vous installez. Tu t’installes. Vous commencez. Tu commences. Vous allez commencer. Vous branchez les machines. Vous chauffez les corps. Tu es assis. Une route est face à toi. Si tu lèves la tête : tu vois la route, face à toi. Si tu traverses la vitre : tu accèdes à l’espace, dehors. Si tu traverses la vitre, si tu prends la route, tu rentres chez toi. Si tu traverses la vitre, si tu prends la route, tu ne rentres plus. Tu viens d’arriver. Tu t’assois. Ce n’est pas la première fois que tu viens ici. Tu es déjà venu. Travailler. Ici. Garder. Regarder. Voir. Le travail. Déjà. Le travail. Des autres. Le tien ? Tu es venu déjà. Il y a quinze jours. Hier. Aujourd’hui. Trois ans. Tu viens. Aujourd’hui. Tu arrives. Tu arrives en avance. Bonjour. Tu dis bonjour. Tu dis je ne vais pas. Rester. Bonjour. Tu t’assois dans les transats. Bonjour. Tu dis je vais m’asseoir. Bonjour. Je m’assois. Je suis assis. J’arrive. Je viens. Je viens d’arriver. Bonjour. Nous venons d’arriver. Bonjour. Je ne vais pas rester. Je vais rester. Un peu. Je vais prendre un peu mon temps. Je vais attendre un peu. Et prendre un peu. De recul. Bonjour. Je viens travailler. Bonjour. Je voudrais apprendre. Un peu. À travailler. Je voudrais savoir. Comment garder. Comment regarder. Comment voir. À distance. Comment prendre un peu. De recul. Et apprendre à dire. Un peu. Le peu qui puisse un peu se dire. De l’instant. Face. À la durée. Quinze jours. Hier. Trois ans. Aujourd’hui. Je viens d’arriver. Je viens travailler. Je viens poursuivre : la conversation que nous avions autrefois. Nous reprenons : la conversation que nous avions autrefois. Chaque fois. À chaque fois. Nous reprenons. La première fois. La. Première fois que je t’ai vu c’était. Nous reprenons. Chaque fois. Aujourd’hui.


Je viens. Tu branches les câbles. Je viens. Tu répares les cordes. Je viens. Tu déroules le scotch. Je viens. Tu souffles. Je viens. Tu frottes. Je viens. Tu frappes. Je viens. Tu vérifies. Chaque jour. Tu es assis. Chaque jour. Je viens. Chaque jour. Tu te souviens. Aujourd’hui. Ta première venue ici. Le premier regard, ici. La première fois. Tu t’assois. Asseyez-vous. Entretien. Entretien d’embauche. Bonjour. Bonjour madame. Bonjour. Bonjour monsieur. Est-ce que je peux vous regarder droit dans les yeux. Tu te souviens. Du mépris d’un regard. Droit dans les yeux. Tu te souviens. La gloire un jour viendra. Tu lèves la tête. Là. Première fois que je t’ai vu. Tu lèves la tête. Aujourd’hui. Là. Première fois que je te vois. Aujourd’hui. La première fois nos regards se croisent.

Je suis assis. J’entends les sons et les bruits venant du dehors. Je suis assis. Je cherche des yeux les corps du dehors. Je suis assis. Je cherche des yeux des corps qui produisent des sons. Je lève la tête. Je vois des corps. Je vois les corps des sons dehors. Je vois les sons. Je vois les sons dedans. Je les entends. Je lève la tête. J’ouvre la bouche. Maintenant. Je projette le premier mot. Maintenant. J’esquisse les premiers termes d’une équation où projeter au devant de moi l’espace du dedans. Je lève la tête. Je regarde. Je te vois. Je projette la parole. Je lève la tête. Je te regarde. Je projette par la voix les image du dedans. Je suis dehors. Je suis avant. Je suis en avant. Je suis devant. Je suis hier. Avant-hier. Je lève la tête. Je te vois pour la première fois. Je te parle dans le silence. Je me lève. Je marche. Je marche vers toi. Je projette la voix. Je porte mon corps. Je porte en mon corps, aujourd’hui, le passé, dedans. Je porte en mon corps le chant passé d’hier. Je le porte, il passe par moi, je le porte, le projette, il est devant, regarde, mon corps projette le passé devant, par la parole, et pour la marche, aujourd’hui, je porte le corps : au devant de moi. Et j’esquisse : les premiers termes d’une équation où projeter au devant de moi l’espace d’avant. J’esquisse : les premiers termes d’une équation où projeter au devant de moi l’espace dedans, je l’inscris, devant : pour dire à chaque mot le monde écrit, pensé, passé par moi, traversé, traversé par lui, maintenant projeté, mot à mot, au travers : de chacun de nos corps. Je me lève. Je marche. Je te regarde. Ma bouche s’ouvre. Elle parle. Je m’approche.

Dans le temps. Présent. Dans le temps. Il était une fois. À présent. Je m’approche.

À présent. Quoi de commun de ton corps à ma parole. Quoi d’enfin partagé entre nos corps. Cet espace ? Le temps de la marche, entre nos corps. Le temps de la marche réduisant l’espace, entre notre corps. Le temps d’une parole, interrompue, puis reprise. Le temps de l’espace, entre nos corps. Le temps de l’espace, obscur, ouvert : le trou de ta bouche. Hier. Aujourd’hui. Ce matin. Je quitte la maison. Le trou de ta bouche. Là. Pousse ma voix.

Je plonge l’œil. Dans le trou de ta bouche. Je plonge dans la marche. Dans la rue. Je plonge l’œil. Et l’œil pénètre à chacun de mes pas ta bouche ouverte. Je marche. Je suis assis. Je t’écris. Je lève la tête. Je te regarde. Je marche vers toi. Je pénètre ta pensée par le son de ma voix. Je te pénètre par le son. Par la pensée. Je suis dedans. Je te vois. Je lève la tête. Je projette la voix. Je te vois jeter la tienne, maintenant, devant toi. Je te vois lever la tête, je suis dedans. Je me jette avec toi. Je marche dans la rue. Tu marches avec moi. Je comprends, aujourd’hui, comment c’est là où je vais qui m’anime, et non là où je suis. Je suis assis. Je marche.

J’effectue le voyage quotidien. J’effectue le voyage quotidien pour aller à l’usine. Je suis le récit quotidien du voyage pour aller à l’usine. Je suis le récit de chaque jour. Fais-moi. Fais-moi le récit de chaque jour. Fais-moi. Fais-moi le récit de chacun de tes jours. Lève la tête. Regarde. Regarde-moi.

Où vas-tu. Où t’en vas-tu. Écoute. Et fais bien attention. Écoute. Et ne fais pas trop attention. Écoute. Et porte bien haut. Ton attention. Porte bien haut. Ta voix. Porte au plus haut. Ta voix. Écoute. J’écoute, j’écoute. J’écoute ta parole. J’écoute. Et je vois le déploiement de la pensée, projetée, entre nos corps.

Je marche. Vers l’usine. Chaque jour. Je reviens. Tous les jours. Je raconte. Mon travail ? Revenir. C’est revenir, mon travail. Et te dire ce que je fais, derrière les machines. Tu as le temps. Tu n’as pas le temps. Derrière les machines. La parole tourne. Muette. C’est un autre monde. C’est le même. Je te regarde. Je te raconte. Je lève la tête. Je te parle. Par le silence. Et la pensée se projette entre nos corps. Par le silence. Nous annulons les machines. Par le regard. Une parole tisse la pensée changeante, changée, traversant chacun de nos corps. Par le silence. Chaque regard annule la machine. Tu as le temps. Tu n’as plus le temps. Tu as le temps. Tu auras toujours le temps. Tu es dedans. C’est toi le temps. Tu marches. Tu cherches un temps qui soit le tien. Tu marches. Conditionné par là où tu vas. Tu cherches un temps qui soit le tien. Tu cherches : une condition pour vivre là où tu es. Raconte-moi. Raconte-moi où tu es. Raconte. Raconte-moi où tu vis. Je marche. Vers l’usine. Chaque jour. Je reviens. Tous les jours. Je raconte. Dedans. Tous les jours. Je suis. Dans l’usine. Tous les jours. Et la sirène retentit. Tous les jours. Je suis la sirène. Dans le lointain. Et je retentis. Je dis c’est l’heure. Je marche vers l’usine. J’ouvre les portes. Je mange. Il est midi. Je tourne à droite. Stop. Je reçois des ordres. Stop. Je tourne à gauche. Écoute. La parole tourne. Écoute. Elle traverse les corps. Écoute. Elle annule les machines. Elle est devant. Elle est derrière. Elle est face à toi. Et tu marches. Tu accélères. Tu fais une pause. Il est midi. Tu as des collègues de travail. Tu as une femme. Tu as un enfant. Tu t’assois. Tu es assis. Tu manges. Tu marches. Tu vois une femme. Tu vois un enfant. Petit chéri. Mon petit chéri. C’est toi mon collègue préféré. Petit chéri. Je vais t’apprendre. Mon métier. Quand tu seras grand, tu viendras t’installer à mon bureau. Je marche. Je marche avec toi. Est-ce que tu veux bien. Marcher avec moi. Petit chéri, petit collègue. Petit collègue, mon chéri. Je vois. Ce que tu veux dire. Non. Tu ne vois rien. Tu entends. C’est tout. Tu entends. Les sons. Tu entends. Le vent. C’est le réel, petit bonhomme. C’est la rue dans laquelle tu passes. C’est la salle où tu t’assois. C’est la chambre où tu t’endors. C’est la salle où tu travailles. C’est un patron. C’est un ami. C’est un amour. C’est une descendance. C’est un rapport. Un lien. Un attachement. C’est un bateau. C’est un long voyage. C’est une ville à vendre. C’est une école. C’est : 50 moins 63 égale ? Impossible. Très bonne réponse. Mauvaise. Mauvaise réponse.

Il faut que je m’achète une calculette. Il faut que je m’achète un sac à dos. Il faut que je m’achète un parapluie. Il faut que je m’achète une machine à laver. Il faut que je m’achète une trousse de toilettes. Il faut que je m’achète une méthode. Pour avoir. Un monde. À moi. Pour être un lieu du monde, où avoir un monde. À moi.

J’attends. J’attends devant les grilles. J’attends. J’attends que les grilles s’ouvrent. La sirène retentit. J’attends de pouvoir entrer. J’attends derrière le bâtiment. Il attend. Il attend ses collègues de travail. Tu attends. Tu attends tes collègues de travail. Tu es assis. Tu es assis face à l’attente. Une sirène retentit. Tu es assis. Face aux lieux où tu attends. Tu es assis. Face aux lieux où tu as vécu. Tu es assis. Face à là où tu as vu. Tu es assis. Face à là où tu as cru voir. Tu es assis face aux lieux des naissances. Une sirène retentit. Tu es assis. Face aux lieux où tu as levé la tête, ouvert la bouche. Et tu manges. Et tu parles. La sirène retentit. Tu es assis. Face aux lieux où tu t’es endormi. La sirène retentit. Face aux lieux. Où tu as cru aimer. Tu es assis. Face aux lieux où tu as cru mourir. Tu es assis. La sirène retentit. Face aux lieux. Face aux années, jours, heures. Face à chaque instant. Le travail commence. Tu es assis. Tu lèves la tête. Je te regarde. Tu viens voir dedans. Nous sommes à l’intérieur. Maintenant. Nous sommes à l’intérieur. Ensemble. Nous sommes dedans.


[30.11.08] - Chant neuf







Chant neuf - [07.07.08]


Arriver en avance. Arriver en avance à l’heure du rendez-vous. Arriver sur le lieu. Arriver sur le lieu du rendez-vous. Entrer dans le lieu. Entrer dans le lieu du rendez-vous. Monter dans la salle. Attendre. Commencer. Commencer seul. Comment c’est. Seul. Raconte. Raconte-moi. Avec les mots. Ceux d’hier. Seul. A la table. Raconte-moi. Aujourd’hui. Trouve les mots. Pour aujourd’hui. Travaille. Seul. A la table. Travaille avec. Seul. A la table. Travaille. Avec. La table. Seule. Travaille. Avec. Le son. Seul. Travaille. Avec. Le son. Seul. Travaille. Avec. Le son. Seul. De la table. Travailler. Avec. Le son. Seul. Travailler. Avec. Seul. Avec. Seul. Ensemble.

Est-il nécessaire de sonoriser la voix. Seul. Ensemble. Continue le travail. Seul. Ensemble. Ici. Dans ce théâtre. Fermé. Continue. Le travail. Soir. Matin. Fermé. Seul. Ensemble. Continue. Dans cette usine. Avec. Travailleurs du matin. Du soir. Travailleurs d’avant. Le lieu. Ouvert. Avant. Le lieu. Son passé. Avant. Le lieu. Son ouverture. Avant. Son ouverture. Ceux. Qui lavent pour toi le lieu. Ceux. Qui préparent. Ceux. Qui mettent en place les tables. Les chaises. Dehors, le ciel est gris. Dehors, une éclaircie. Dehors, la pluie. La lumière sombre.

Je gravis les escaliers de la tour. Une porte. Le son, derrière la porte. Le son. Seul. Avec. Mes pas. Seul. Ensemble. Ecoute. Le son. A travers la porte. Dans la tour. Derrière la porte. De l’autre côté. J’entends. Je rejoins. Je quitte. Je traverse les pièces. Hangars. Bureaux. Je marche sur vos têtes. Je salue. Celui qui nous invite. Je salue. Celle qui nous invite. J’entends. Son inquiétude. Je ne reste pas. Je rejoins. Je quitte. Je descends au bar. Et toi, tu t’appelles comment.

Je prends des notes. Le bar est fermé. Je prends des notes. Le bar est ouvert. J’attends. Les amis. Je les rejoins. Je les quitte. Le bar est ouvert. Elle est où ta place ouverte. Dans ce lieu. La place ouverte. Est un point d’observation. La place ouverte. Est un point d’accueil. Un point. À partir d’où. T’ouvrir. Le regard. Un point. D’où partir. Je vous rejoins. Nous sommes seuls. Nous sommes ensemble. C’est quoi ton travail. C’est quoi le commun. Le commun, de notre travail.

Je. Travaille. À. Établir. Un rapport. Je fais le résumé. Je résume. Je dis le lieu fermé. Je dis le lieu ouvert. Je dis le lieu avant. L’ouverture. Je dis l’ouverture. Je dis les premières heures. Les premiers jours. Les premiers présents. Sur le lieu. Le matin. Ceux qui lavent. Ceux qui accueillent. Ceux qui invitent. Ceux qui surveillent. Les gardiens. Le lieu. Le lieu fermé. Le lieu. Le lieu ouvert. Le lieu. L’intérieur du lieu. Fermé. Ouvert. La présence, à l’intérieur. Du lieu fermé. La présence. Ouverte. La pluie. La pluie dehors. Bonjour. Dire bonjour. S’abriter. S’attirer. S’abriter. De la pluie. Sous le préau. L’école. Aller. L’école. À l’école. Et partir. En vacances. Un voyage. Un aller. Sans retour. Monter. Tout en haut. De la tour. Et voir la ville. Voir. Le bâtiment, depuis là-haut. Voir. Depuis là-haut. Voir le monde. Depuis là-haut. Être en face. Et bâtir. Un édifice. Je bâtirai. Une usine. En face d’un château. J’investira. Le château. Avec la mémoire de l’usine. Je bâtirai, une tour, au bord d’un fleuve. Je longerai le fleuve. Je remonterai à la source. Laisse couler. Vers le large.

Je suis sur le lieu du travail. C’est quoi. Pour toi. Le lieu. C’est quoi. Pour toi. Le travail. C’est quoi. Pour toi. Le trajet. De chez toi. Jusqu’au lieu. De ton travail. C’est quoi la différence. Entre toi, et ton travail. C’est quoi la distance. De toi, à ton travail. La distance. Entre chez toi. Et le lieu. De ton travail. L’écho de toi. Dans ton travail. L’écho de ton travail en toi c’est quoi ton travail. C’est quoi la vacance. Un voyage, pour toi, c’est quoi. Tu dirais que tu es quoi, toi, un travailleur, une employée, un ouvrier, une secrétaire, un esclave, une patronne, un militaire, une guerrière, un bâtisseur, une tapissière, un chef, une sous-chef, un petit-chef, aux ordres, en désordre, une artiste, un éboueur, une ébéniste, un commerçant, une gardienne, un artisan, une médiatrice, un chercheur, sans profession, immobile, en mouvement, c’est quoi la tristesse pour toi. C’est quoi : tenir sa vie, à quoi : tu tiens ta vie. Est-ce que tu te sens naître, parfois. Est-ce que tu te sens maître, de quoi. De la situation ? Est-ce qui tu as les clés du lieu où tu vis. Est-ce que tu es la gardienne du lieu où tu vis. Est-ce que tu es le gardien du lieu où tu vis.

Est-ce que le gardien est celui qui a les clés du lieu où il travaille. Est-ce que le gardien est celui qui a les clés du lieu où il vit.

Être visiteur. Entrer dans le lieu. Les portent s’ouvrent. Est-ce que le gardien. Est celui qui ouvre les portes. Est-ce que le gardien. Est celui qui signe la fin. La fin de l’attente. Du visiteur. Et le maître. Est-ce que le maître décide. Est-ce qu’il décide seulement de l’heure de l’ouverture des portes.

Être. Visiteur. Être. Invité. Est-ce que l’invité finit par connaître le gardien. Est-ce que l’invité finit par connaître le maître. Est-ce que le rêve de l’invité est de finir un jour par avoir un double des clés du lieu. Un double des clés du lieu où il travaille. Un double des clés du lieu où il vit. Est-ce que l’infini à sa place dans ton travail. Est-ce que l’infini à sa place dans ta vie.

Tu es un invité. Nous sommes les invités. Nous connaissons le gardien. Nous n’avons pas les doubles des clés. Nous sommes connus de certains amis du maître. Ils ont tous les clés du lieu. Ils nous ouvrent tous les portes fermées. Tout peut basculer, à chaque instant.


[13.04.09] - Chant neuf







Chant neuf - [19.07.08]


Tu arrives. Tu viens d’arriver. Tu entres dans le village. Tu arrives. Tu marches dans les rues. C’est le premier jour. C’est aujourd’hui. Tu marches dans les rues du village. Tu nommes l’espace que tu traverses. Au fur et à mesure que tu le traverses, tu nommes l’espace que tu vois. Au fur et à mesure de la marche, dans les rues, entre les maisons. Tu dis : le peu du monde que tu vois. Au fur et à mesure de la marche. Tu nommes le monde, à chaque pas. Fragment par fragment. Je. Vais. Te faire le récit du monde. Pas à pas. Je. Vais. Te faire le récit du jour. Par les fragments. L’entrée dans le village. Les maisons. Les murs blancs. Les volets clos. Les volets. Les volets ouverts. Les volets. Les volets entrouverts. La couleur. La couleur des volets clos. Ouverts. Entrouverts. La couleur des volets des maisons. Je te dis. Comment chaque maison a sa couleur. Et comment chaque couleur dit l’impossible tâche de nommer qui vit derrière la couleur. Je te dis la vitesse de marche de cet homme, à mes côtés, le premier jour : nous marchons côte à côte lui et moi, quelques instants, juste quelques instants. Je te dis sa marche rapide. Je te dis la mienne lente. Je te dis le premier jour ici. Comment je viens sous les chênes. Ici. Le premier soir. Tu vois l’espace ? C’est ici. C’est maintenant. C’est sous les chênes. Tu arrives. C’est le premier soir. C’est avec la lumière jaune, là, juste là. Juste là derrière. C’est la fin du premier jour. Et la nécessité. De garder. Mémoire. Et le désir de faire. Image. Avec nos corps. Écoute : la lumière est jaune et chaude en fin du jour sur le vert de l’herbe, ici. Et maintenant : je demande une carte. Vierge. Maintenant. Je veux trouver un espace nouveau. Je demande une carte. Je veux un territoire. Vierge, inexploré. Je veux une mémoire. Pour mon corps. Avec une carte vierge. Je veux un territoire inexploré, jamais foulé, jamais dessiné, jamais décrit. Je demande une carte. Vierge. Avec une mémoire.

La terrasse d’un bar. Les piaillements des oiseaux. Les bruits des moteurs. Les piaillements légers des oiseaux. Les moteurs qui passent. Les piaillements légers et lointains des oiseaux. Les rapaces qui planent. Les piaillements légers, lointains et constants des oiseaux. Le nuage blanc sur fond ciel bleu. L’ombre d’un arbre. Le sombre de l’ombre d’un arbre, projeté sur un mur. Un sac en cuir, au pied d’une chaise. Et les lignes blanches au sol qui délimitent l’espace d’un jeu. Comment te dire la fraîcheur, à l’ombre. Comment te dire le monde. Comment te le dire depuis le seul point d’où je le vois. Comment te décrire le monde, instant par instant, couleur par couleur, espace par espace. Comment te dire l’espoir d’assembler toutes les couleurs, tous les espaces, tous les instants, et te dire le monde tel qu’il est à l’instant où je le vois.

Et. Le piaillement des oiseaux. Et. La connivence par le regard d’une table à une autre. Et le grillage, autour du fronton. Et le cheval dans une remorque tractée par une voiture. Et cet homme, assis sur un banc, au soleil. Qu’est-ce qu’il attend, est-ce qu’il attend. Qu’est-ce que tu attends. Est-ce que tu attends.

Et la douleur dans la dent. Et l’invention d’un jeu avec un caillou. Et la chenille noire qui s’enfuit dans l’herbe fraîchement coupée. Et les griffures sur le bras. Ce matin. La marche en plein soleil. Ce matin. Les ronces dans la marche, en plein soleil. Et le lit qui grince. La nuit. Et dormir. Dormir ensemble. Et dormir. Dormir seul. Et la douleur. Dans la dent. Et marcher. Marcher seul. Marcher. Marcher à deux. Marcher. Marcher à trois. Marcher. Avec celle que tu aimes. Marcher. Avec les enfants. Et le rapace. Qui plane dans le ciel. Et le rêve. Cette nuit. Seul. Récit du monde. Seul. Fragment. Par fragment. Pas. À pas.

Et la feuille, sèche, que l’enfant tient par la tige, et te montre. Et le regard : de celui qui fut ton père. Te sentir : étranger. Te sentir : le bienvenu. Te sentir : accueilli. Te sentir. Dans la marche. Sentir. Dans la marche. Le sol. Et saisir : un paquet de terre, humide, dans la main. Et serrer. Serrer la main. Et donner à la terre la forme de l’intérieur de ta main. Penser : donner à la terre la forme du souffle tandis que tu serres la main. Marcher, marcher sous le soleil, avec la main droite serrée, fermée, et la terre, à l’intérieur de la main. Rouge la terre, humide. Terre humide et rouge prenant la forme du souffle, serré, fermé. Vas-y, ouvre ta main, vas-y respire, vas-y, considère le morceau de terre encore humide et rouge, et dépose-le, dépose-le sur une branche, et marche maintenant, marche maintenant main libre, et laisse la terre, laisse la terre sécher sur la branche, et pense au retour, ne pense pas, avance.

Tu vois le sommet ? Là-haut. Tu le vois ? Maintenant, j’y suis. Depuis là-haut, là où je suis, je vois un autre sommet. Depuis le sommet, là où je suis, je pense à là où tu es. Depuis le sommet, là où je suis, je vois le sommet plus loin, l’inexploré, le sommet encore vierge à mes pas. Si je vois plus loin, je vais plus loin. Si je vais plus loin, je suis ailleurs. Et maintenant. Je m’assois. À tes côtés. Juste à côté de toi. Ou bien en face. Bien en face. Je m’assois face à toi.

Et. Je te dis. Le nuage. Le nuage, au sommet. Le nuage, comme de la fumée. Le nuage comme palpable. Je suis dans le nuage. Je suis au pied de la montagne. Je vois le nuage. Je vois le nuage, là-haut. Je vois le sommet caché par le nuage. Je vois le sommet devenu invisible. Je suis dans le nuage. Je suis sur le sommet. Je suis : avec les animaux. Là-haut. Parmi les animaux. Au sommet. Je suis un animal. Face aux vestiges d’un mur. Ici : je suis un petit animal. Ici je suis un grand. Ici : je vois une mère et son enfant. Deux animaux. Je vois deux animaux. Dans le nuage, au sommet. Face aux ruines d’un mur. Je suis le petit animal, je suis le grand. Je vois la mère, je vois l’enfant. Je vois la croix en pierre. Au sommet. Je suis face aux ruines d’un mur. Et le rapace plane. Un avion silencieux brise l’air. Et le rapace et l’avion vivent dans le même ciel.

Et la mâchoire de l’animal mort que je ramasse au sol. Et la douleur dans la dent. Et les taches de couleur sur les rochers. Et les taches de couleur sur les animaux. Je suis dans le nuage. Je suis au sommet dans le nuage avec l’animal et son enfant et la croix en pierre face aux ruines d’un mur. Je suis invisible, au sommet. Je suis invisible : dans le paysage. Et je marche doucement pour ne pas apeurer l’enfant. Je vois la mère se placer entre lui et moi. Je lis une date inscrite sur la croix en pierre. C’est une année récente. 1989. Une année gravée dans la pierre. Sur la croix, au sommet. Face aux ruines d’un mur. Ici. Des images de Berlin. Au sommet, dans le nuage. Les images d’une marche dans Berlin. Au sommet. Les ruines d’un mur, dans le nuage. Les ruines invisibles dans un paysage au sommet. Images de Berlin. Et les taches de couleur. Sur les animaux. Les taches de couleur. Sur les rochers. Et le feu, éteint : à l’abri du mur en ruine, au sommet. Les traces d’un feu. L’odeur d’un bois brûlé. Et le vent soufflant dans les branches de l’arbuste, derrière la croix. Et le ciel proche, à le toucher. Le son du vent. La matière du ciel. Et l’éclaircie, fugace, dégageant la vue sur la vallée. La fugacité du soleil éclairant la vallée. L’étendue visible et vaste dans la vallée éclairée par le soleil, à nouveau, puis à nouveau le nuage. Le voile fin et léger du nuage masquant la vallée puis la rendant visible, à nouveau sous le soleil. La vie des hommes, en bas. Le gris du ciel et l’éclaircie. L’herbe verte. La main qui touche l’herbe verte et le gris du ciel, et le nuage comme palpable. Et l’animal, à dix mètres. Et le froid, dans le dos. Le rocher, fendu. Et la mer, là-bas. Et les montagnes, et le sommet : ici. Battement vif des ailes d’un oiseau. Hennissement des chevaux. Cloches. Hennissement des chevaux. Le ciel s’éclaircit. Cloches. La lumière se fait plus chaude. Des arbres, à l’abri du vent. La chaleur de la pierre. Et ce refuge, dans les rochers éboulés.

Et la tache de lumière sur le flanc de la montagne. Le bêlement d’un mouton. Le regard d’un cheval, à travers sa crinière, à deux mètres de toi. L’immobilité du cheval qui te regarde. Le hennissement du cheval. La traversée d’une frontière. Une marche vers les animaux. Une trouée dans la roche. Une percée de lumière par le trou, dans la roche : de l’autre côté, c’est un autre ciel, c’est le même. De l’autre côté, c’est une autre vallée, c’est la même terre.

C’est. Dans ta langue. C’est dans ta chair. C’est dans l’accent de ta langue, quand elle touche la mienne. C’est une marche. Avec l’animal.

Et le sommet que tu vois. Le sommet que tu veux atteindre. C’est. À force de le voir, le sommet dont tu ne sais plus s’il est loin ou proche, ou s’il n’est qu’un sommet avant et devant le sommet que tu veux atteindre.

Tu suis des hommes. Tu suis des hommes assis sur des animaux. Tu suis des hommes. Tu suis des hommes assis sur des animaux croisant des animaux sans hommes assis sur eux. Tu viens t’asseoir. À mes côtés. Je suis. Une tache de couleur sur la peau de l’animal. Tu viens t’asseoir. À mes côtés. Je suis une tache de couleur à la surface du rocher. Je suis une date inscrite dans la pierre. C’est le premier jour.


[30.11.08] - Chant neuf